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comme tu me pardonnes, et je suis forcée d’admirer de nouveau la tendresse indulgente de ton cher cœur, qui pourrait si bien, et à juste titre, faire expier au mien toutes ses extravagances; mais enfin je t’adore, tu le sais, et je comprends tout ce que la foi peut te faire excuser; tous mes torts, chéri, viennent du manque de cette foi si précieuse et si douce; mais ta dernière lettre est venue confirmer toutes les autres et toutes tes chères paroles que parfois tes actions semblent démentir. Mais en ce moment, je suis toute confiance, et par suite, tout amour, puis tout bonheur, ma vie est tout entière sous la direction de mon cœur, ou plutôt de mon espoir en ton amour. — Adoré cher! que de temps écoulé entre ma lettre et ta réponse! Dix longs jours! et j’ignore ce que tu fais maintenant! travailles-tu? Auras-tu reçu à temps les corrections des Contes bruns? Cette dame t’écrira sur la Vendée et la politique[1]! !... Oh! tu devrais d’ici entendre les battements de mon cœur! ami! c’est jouer avec ta tête ! tu comptes sur les femmes pour qu’elles te servent d’appui en politique! impossible, chéri, ce n’est pas là ce que tu veux. D’abord, Dieu merci ! le temps où elles étaient puissantes dans ces sortes de matières est bien loin de nous, et aujourd’hui, elles sont nulles en affaires aussi graves, ou, si elles sont influentes, c’est pour tout gâter. La révolution, a coupé les lisières de l’homme, et il n’est pas organisé, de nos jours, de manière à les reprendre; et puis, mon deux bien-aimé, je te le répète et te le rappelle, n’est-ce pas par la Chambre que tu veux arriver? Oh! par grâce! au nom de tout ton avenir, prends-t’y avec toute l’adresse possible pour faire cesser cette correspondance (non pour moi, car je suis trop heureuse aujourd’hui par ton cœur, pour avoir des inquiétudes personnelles), mais pour toi, pour ta sûreté, il ne faut qu’un mot indiscret, et il y en aura mille, pour te compromettre. Et toi, innocent, seras confondu avec de coupables agitateurs, de monstrueux égoïstes, qui, dans le seul but d’obtenir plus de fortune ou plus de moyen pour dominer, immolent de sang-froid et sans regret des myriades d’êtres inoffensifs.

Voilà mon tourment d’aujourd’hui, mais il est bien vif, outre la douleur de craindre ton danger ; je frémis encore de te voir accolé avec un Chateaubriand. Je méprise

  1. La marquise de Castries.