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ne sera pas changée. Je dis, mon deux cher, tu m’as donné une profonde humiliation, en me refusant celle de la duchesse d’Ab...[1]. Mais, à cette époque, j’ai dû en quelque sorte respecter la délicatesse du jeune homme, telle fausse qu’elle fût, car il en manquait envers la femme qu’il aimait et la faisait grandement souffrir dans l’intérêt d’une personne qu’il aurait dû lui sacrifier. Aujourd’hui, chéri, les mêmes raisons n’existent plus; je ne peux plus envelopper ton manque de délicatesse à mon égard sous le manteau de ton inexpérience ; aujourd’hui tu as de l’acquis plus qu’il n’en faut pour savoir de quel côté doit aller la victoire dans un combat où il y va de mon bonheur, et si mon pauvre cœur doit toujours servir de plastron à tous les coups qu’il plaira aux femmes qui assaillent le tien de lui porter. Ami, si tu pouvais [hésiter] un moment à me faire connaître un secret qui est bien moins à elles qu’à moi, si tu pouvais leur garder ce prétendu secret et manquer ainsi à tout ce que tu me dois, oh ! chéri !!!

Ce talent d’observation, cette connaissance du cœur de la femme dont chacun, et surtout chacune te complimente, je suis loin de le reconnaître. Ami, oui, tous les cœurs de femmes du monde dans lesquels on peut lire avec la vue ordinaire, tu les sais par cœur, mais il en est qui ne peuvent être bien étudiés, bien...[2].


III

Mardi [, 19 juin 1832.]

Je ne me mets pas à la besogne sans relire ta chère lettre, ami chéri, et toujours elle me donne la même émotion, une douce et suave reconnaissance pour les vœux bienveillants de ton gentil cœur; oh! oui, chéri, pourquoi n’avons-nous pas été assez favorisés du sort pour vivre toujours ensemble, loin d’un monde si peu fait pour des âmes vraies, sensibles et grandes! Oh ! pourquoi?

Déjà j’ai repris bien des fois le deux bec que tu as déposé sur la place que tu m’indiques dans ta lettre; je finirai par

  1. Mme la duchesse d’Abrantès.
  2. La fin de la lettre manque. — Balzac était alors, depuis quelques jours, au château de Saché, l’hôte de M. de Margonne; il y resta jusqu’au 16 juillet, date à laquelle il se rendit à Angoulême chez M. et Mme Carraud où il passa le mois d’août.