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XIV

4 octobre [1822].

Plus nous allons, et plus je découvre une foule de beautés de sentiment dans toi. C’est le propre de tout ce qui est véritablement beau d’être fécond à toujours de grandes choses, d’abord inaperçues. Laure, je te l’avoue, la consécration du banc, cette fête d’un amour que nous croyons expirant, le rallume, et loin d’y voir une tombe, ce lieu charmant ne m’est apparu que comme un autel. N’est-ce pas trop soigné pour un sépulcre? Oh ! non, qu’il soit à jamais ce qu’il est! Tombe ou autel, peu importe, pourvu que, dans tout le reste de notre vie, lorsque nos regards tomberont sur cet endroit, ils [nos cœurs] battent un instant à l’unisson. Le souvenir n’a rien de criminel : il embellit la vie présente de tout ce qui charma dans la vie du passé, et le don de la pensée fait quelquefois ainsi vivre au double.

Ne t’ai-je pas dit en voyant ce luxe champêtre : « Quel discours ! » A en juger par les émotions que nous donnent de telles actions qui n’ont rien que de tendre et de délicat, que devons-nous penser du sentiment principal qui les dicta? N’est-ce pas folie que de chercher à l’éteindre?

O Laurel reçois à ce moment tout le témoignage brûlant d’un véritable enthousiasme! Oui !... je crois que dans tout le reste de ma vie, personne ne me donnera une fête plus simple et plus magnifique...

Ce muet et délicat hommage a flatté tous les sentiments de mon cœur. Et tu ne serais plus rien pour moi ? Celle qui aime tant n’aurait plus en partage que le sentiment d’un fils ?...Non non, Laure, tu seras en tiers dans toutes mes pensées, et ce sera aussi en ton nom que je ferai tout ce qui me portera à m’élever au-dessus des autres hommes. Je ne veux plus d’autre devise que ton nom chéri, et je me sens un accroissement de désir de parvenir et de faire en sorte qu’un tel culte de ta part soit justifié. J’en suis fier, et si les Croisés dans la mêlée s’écriaient : « Dieu le veut ! » mon cri sera : « Laure l’espère ! » à chaque fois que je me sentirai au fort des travaux qui pourront me donner quelque gloire.

Si tu souffres, Laure, que crois-tu que je ressente, surtout lorsque de pareilles idées, empreintes de toute la grâce des amours, réveillent cette masse de sentiments, que je crois