Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Forte de ma promesse, ma mère ne cesse de parler de mon voyage de Bayeux comme d’une chose certaine, ou pourquoi la ligne que tu écriras le samedi soir, ne vient-elle pas le matin? je n’irai pas à Bayeux. Mais, puis je n’irai pas là... ma vie est ici, que dis-je même, non c’est l’idée contraire, puisque j’ai promis mon suicide.

Ne pourrai-je encore vivre et vous écrire une lettre froide et sans vous dire que je vous aime et que vous êtes mon unique pensée et la somme totale de mon bonheur.


XIII

B[ayeux], 30 juillet 1822.

Je n’ose vous dire que vous m’attristez en ne mettant plus de fleurs dans vos lettres. Mon eau de P[ortugal] est finie, et sans mon Chénier, je serais sans amulette, je n’ai pour toute ressource que de trouver dans les anciennes fleurs une odeur disparue.

Pourquoi tout cela? Je serais fort embarrassé d’en donner une raison, car, à présent, je ne veux plus rien m’expliquer, je ne le peux plus. Je vais revenir, dans une huitaine je pars.

En vérité, et je vous écris dans la sincérité de mon cœur, je ne vois pas de quel droit je troublerais votre bonheur pour un reste d’existence que je crois qu’il n’est au pouvoir de personne d’embellir. Il y a des êtres qui naissent malheureusement, je suis de ce nombre. C’est persuadé de cette évidence que je vous écris.

J’ai vu avec plaisir que vous avez reconquis votre libre arbitre, j’en suis joyeux plutôt pour vous que pour moi. Oui, Laure, je vous en supplie, maintenant que vous êtes maîtresse, persuadez bien à ceux qui me haïssent que je ne mérite ce sentiment d’aucune créature, car, maintenant que vous êtes libre de me voir, de me recevoir, que je le suis, et qu’aucune force ne peut m’empêcher de vous voir, j’y renonce de plein gré, si ce sacrifice assure le bonheur de quelqu’un et le vôtre par conséquent.

Il n’entre dans cette détermination aucun motif que l’on puisse incriminer, elle m’est dictée par le sentiment de non-valeur que j’ai de moi-même. Je suis trop peu, ma vie intellectuelle est trop peu de chose, pour que je blesse seulement un