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l’autre par les plus nobles efforts ; c’est quand on a tout fait, croire n’avoir encore rien fait ; rendre sa bonté, sa foi, et les marques de son a[mour] aussi innombrables que les graviers de la mer, faire que chaque sentiment soit une goutte d’une mer inépuisable !

Aimer, c’est l’exaltation de tout notre être, l’inspiration constante d’un poète, en la portant dans le cœur et dans la vie, c’est nager dans l’univers, voir la nature autre qu’elle est, être en contradiction perpétuelle avec toutes les idées reçues, et trouver un ciel affreux lorsque tout le monde le trouve sans nuages, se plaire dans une tempête quand chacun tremble ; alors les sentiments de l’homme ont une espèce de majesté, et jettent sur lui quelque vestige de ce qu’on se figure de la création.

Alors il se resserre, et se place en dehors de la création ; il n’est plus un vil animal ; alors on lui pardonne, alors on l’admire parce qu’il est perdu, loin de la terre, dans les cieux, et qu’il est rare d’y aller ; un tel amour est une vie dans la vie. C’est le chant, le premier désir de toute créature.

Cet accord de toutes les forces n’arrive qu’une fois, ainsi qu’une seule fois l’on aime à vingt ans, ainsi que l’on ne vit qu’une fois, que l’on ne meurt qu’une fois, que !…

Je crois être arrivé à cet a[mour] violent, idé[al] pour vous, mon imagination s’est élancée avec tout ce que…[1], lui a don[né] de force… que je suis malheureux ; il le veut énergique[ment] comme si le Destin des Anciens régnait encore. Je me sen[tirai] heureux si je me suis trompé, heureux si je puis rencontrer tout ce que j’ai remplacé en vous, avec tout ce que vous disiez vous manquer.

Je ne le crois pas. Je ne cherche pas à savoir. Et puis, cela serait ; je ne dois pas compter sur une telle faveur. Mon écorce est désagréable, et ce n’est pas sur le coup que l’on découvrit que l’arbre de Java donnait du baume.

Laure, voilà les derniers mots que je me permets ; ce dernier pas dans la vie de bonheur qui s’offrait à moi, se fait avec délire ? Cette lettre est sortie de mon âme brûlante, et la première plume qui a rendu mes idées est brisée, le papier est percé.

  1. Mots illisibles.