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Cette jeune étourdie a regardé un instant dans le puits, elle crut apercevoir la tête de la déesse qui s’y cache; peut-être, n’a-t-elle vu que la sienne !

Mais enfin, jeune, elle a osé juger la vie comme le vieillard qui regarde en arrière ; elle a pensé que le plaisir en était l’essence et elle a cherché le plus grand des plaisirs pour en faire son texte. Elle n’a fait qu’obéir à la nature des choses et à son penchant, tout en s’imaginant choisir. Dirigeant toutes ses forces vers l’amour et ses joies, elle s’en est créé son unique perspective, elle y a tout subordonné : elle s’est couronnée de roses, et, dans la fleur du printemps, pleine de sève et d’espérance, elle s’est élancée, elle a cherché, elle a trouvé... Mais son élan fut arrêté par cet axiome de morale que : il est impossible que l’on aime ceux qui donnent prise soit au ridicule soit aux plaisanteries[1]. Alors, déshéritée de ses espérances, en regardant l’issue de cette première tentative comme celle de toutes les autres, elle n’eut pas le courage d’en appeler, et de surmonter cette pensée...

Qu’il soit permis de citer notre jeune poète[2]? Ce sera une grande preuve d’humilité que de mettre ses vers à côté de ceci :


Au milieu d’un parterre, un matin vit éclore
Sur un lys encor frais, des larmes de l’aurore,
Un des fils du printemps ;
Par ses jeunes efforts, par ses deux mouvements,
Sa prison est brisée.
Il marche sur la fleur, se nourrit de rosée,
Regarde le jardin
Et par un vol naïf, chancelant, enfantin,
Interroge ses ailes
Où resplendit l’éclat des couleurs les plus belles.

  1. Le 5 août 1822, Mme Balzac mère écrivait à sa fille, Mme L. Surville, à propos d’Honoré : « Mme de Berny fort portée pour lui, parce qu’elle aurait un fils du même âge, me disait l’autre jour que chez elle Honoré allait jusqu’au ridicule, qu’il n’était pas aimé, qu’il avait été jusqu’à trouver le moyen de choquer et d’humilier l’amour-propre de M. Miche[lin], son gendre, qu’elle me citait cela pour me donner la mesure, parce que c’était de tous ceux qui venaient chez elle le moins susceptible, jugez de tous les autres; je lui suis attaché, me disait-elle, je donnerais beaucoup pour qu’il prît plus garde à ses paroles, à son air, à son ton... » (Collection Lovenjoul, ms. a 381, fol. 116, v°).
  2. Dans un brouillon de cette lettre, on lit ceci : « A[ndré] Chénier.» Les vers qui suivent ne sont, bien entendu, pas de lui, mais de Balzac en personne. S. L.