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vous aimerai toujours, et je vous le dis avec cette simplicité, cette candeur qui n’appartient qu’aux sentiments [jeunes] et aux sensations premières.

Si vous avez espoir en un état inouï dans lequel on ne peut rester longtemps, être aimé serait plus inouï encore, et ce n’est pas l’effet que doit produire ce premier cri d’un malheureux.

Je n’en attends de votre part ni l’amour, ni l’étonnement, ni la moquerie, ni le dédain, encore moins le mépris. Mais j’ai toujours soupçonné qu’il y avait dans le cœur de toutes les femmes un sentiment qui se trouve sur les confins de la tendresse et de l’amitié; c’est la compassion, la pitié généreuse qui tend la main aux fous comme aux malheureux.

Adieu, Madame, adieu, et permettez qu’au lieu des phrases banales par lesquelles l’on termine, je dépose ici, à cette place, mon âme tout entière, une âme sans souillure, irréprochable, que j’ose vous offrir comme un des plus purs présents que l’on puisse recevoir. — Adieu.

Répondre à M[1]... Manfredi.


II

[Villeparisis, ] 25 mars [1822.]

Madame, Quand on a fait un thème pour sa vie, il est cruel de le reconnaître impossible à suivre.

Quand, égaré par l’imagination, on l’a construit brillant et plein de charme, on peut se trouver désespéré.

Quand il est impossible d’en suivre un autre, la vie n’est plus rien.

Que l’on suppose une jeune âme naïve, quoiqu’elle se soit imprudemment trempée dans le vase des sciences; ignorante néanmoins, puisqu’elle ne fait que d’entrer dans le commerce du monde ; mais pleine de sentiments généreux, gaie sans méchanceté, aimante à l’excès, partant, un peu friande de mélancolie et de voluptés ; d’abord exagérée dans tout, par suite de la ponte de l’imagination ; puis, ayant déversé cette exagération dans les sentiments ; présomptueuse, folle, inconsidérée, ayant enfin tous les vices comme toutes les vertus de son âge.

  1. Mots raturés.