Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

place, je trouverais je ne sais quoi d’original dans cette correspondance. Et n’est-ce pas une chose hardie que de chercher à ne se faire connaître que par les espèces de portraits de l’âme qu’offrent les lettres ? N’est-ce pas là quelque chose de pur, et où est le danger ?

Mais, j’ai tout calculé, vous ai-je dit, et si j’obtiens la faveur d’une réponse, mon esprit ombrageux m’a déjà suggéré que ce serait peut-être un piège pour chercher à me connaître et vous moquer de moi ; enfin imiter les feux follets qui donnent au voyageur un instant d’espoir, pour le plonger ensuite dans un abîme.

Mais non, je n’ai point cela à craindre, car vous ne me répondrez pas. Il y a mille raisons qui vous retiendront et dont vous n’aurez pas le courage de secouer le joug.

Quoi qu’il en soit, je ne me lasserai point de continuer à penser à vous avec délices. Songez, Madame, que, loin de vous, il existe un être dont l’âme, par un admirable privilège, franchit les distances, suit dans les airs un chemin idéal, et court avec ivresse vous entourer sans cesse, qui se plaît à assister à votre vie, à vos sentiments, qui tantôt vous plaint, et tantôt vous souhaite, mais qui vous aime avec cette chaleur de sentiment et celle franchise d’amour qui n’a fleuri que dans le jeune âge, un être pour qui vous êtes plus qu’une amie, plus qu’une sœur, presqu’une mère, et même plus que tout cela, une espèce de divinité visible à laquelle il rapporte toutes ses actions. En effet, si je rêve grandeur et gloire, c’est pour en faire un marchepied qui me conduise à vous, et si je commence une chose importante, c’est en votre nom. Vous m’êtes, sans le savoir, une véritable protectrice. Enfin, imaginez tout ce qu’il y a de tendre, d’affectueux, de gracieux, d’expansif dans le cœur humain, et je crois l’avoir dans le mien lorsque je pense à vous !

Vous riez peut-être et vous dédaignerez ce silencieux hommage, cette adoration pure et désintéressée, sans seulement essayer à répondre. Alors, Madame, je me contenterai de vivre de mon sentiment lui-même, et j’aurai du moins pendant quelque temps une chimère a caresser, en m’imaginant qu’une lettre est en chemin, et, si elle ne vient pas, mon chagrin aura une cause ; jusqu’ici je me créais moi-même mes biens et mes maux ; maintenant, vous en êtes la source. Quoiqu’il arrive, je