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Dans le même village s’était retiré en 1819, avec sa famille, M. Bernard-François Balzac, ancien directeur des vivres. Honoré, le fils aîné, alors âgé de vingt et un ans, les y avait rejoints en 1820. Après une année de retraite dans sa mansarde de la rue Lesdiguières, il n’avait pu en effet, à la date promise, fournir le chef-d’œuvre que ses parents exigeaient pour lui continuer sa maigre pension: sa tragédie envers de Cromwell avait été jugée détestable. Il regagna donc la maison de Villeparisis où il retrouva sa bonne grand’mère, son père, vieillard original et méthodique, sa mère affairée et nerveuse, ses deux sœurs Laure et Laurence âgées de dix-huit et dix-neuf ans et son jeune frère Henry, un enfant de douze ans. Laure, la sœur préférée, l’Alma-soror, épousa l’année même un ingénieur des Ponts, M. Surville, et s’en fut à Bayeux. Laurence se maria l’année suivante, en 1821.

Balzac s’établit comme il put dans cette nouvelle vie, noircissant du papier, lisant, faisant la classe à son frère et au jeune Alexandre, fils des bons voisins de Berny. Près de deux ans s’écoulèrent : Honoré composait sans trêve d’exécrables romans et continuait à lire pêle-mêle Sterne, Rousseau, Rabelais, Voltaire, le cœur consumé des désirs de la gloire et de l’amour. « La gloire, écrivait-il plus tard, j’en ai été ivre jusqu’à vingt-deux ans. J’en voulais faire un phare pour attirer à moi un ange. Je n’avais rien pour plaire, je me condamnais. » Un jour du printemps de 1822, il surmonta sa timidité, sa peur de la moquerie et par une lettre longuement, péniblement composée, il déclara son amour à celle qu’il adorait en secret, la mère de son petit élève, Mme de Berny. A défaut de la lettre, nous avons les brouillons, griffonnés fiévreusement, raturés, recommencés. Dans l’un d’eux qui n’est, au fond, qu’une « confession » à la Jean-Jacques, Balzac se peint ainsi lui-même:


... Tel je suis et tel je serai toujours, timide à l’excès, amoureux jusqu’au délire, et chaste au point de n’oser dire: j’aime... Je conviens que la dernière chose à laquelle je ressemble, c’est à un amoureux; je n’en ai ni le ton, ni les manières; je n’ai ni grâces ni hardiesse, rien d’agressif ; en un mot, je suis comme ces jeunes filles qui paraissent gauches, sottes, timides, douces et qui cachent sous ce voile un feu qui, une fois qu’il aura franchi les cendres qui le couvrent, dévorera le foyer et la maison, et tout... Au surplus, jamais je ne peindrai mieux mon caractère qu’il n’a été dépeint par un grand homme, Relisez les Confessions et vous l’y trouverez tout au long.