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soyons ravis ; ou celui d’une discipline indiscutablement classique, qui soumettra la littérature à la raison et à la vérité.

Il faut, d’ailleurs, tenir grand compte de l’accident toujours possible du génie. Sans doute, en littérature comme ailleurs, le génie ne crée rien de rien. Il capte toujours des courants de la vie et de l’art de sa nation ou de son temps. Mais il transforme et multiplie au-delà de toute prévision, de toute imagination. Dix ans avant le Discours sur les sciences et les arts, qui eût cru Rousseau possible, et possible la révolution qu’il fit ? Sans lui, peut-être le courant sentimental fût-il demeuré un des courants secondaires du siècle de Voltaire et de l’Encyclopédie La sensibilité française se serait peut-être contenue dans l’aspiration humanitaire et morale sans s’épanouir mystiquement en religion ni poétiquement en rêverie. L’évolution littéraire du XXe siècle peut dépendre de deux ou trois génies qui paraîtront en 1930 ou en 1950, et dont personne aujourd’hui ne peut deviner quelle sera la qualité ou la puissance.

N’oublions pas non plus que les plus beaux génies peuvent fleurir sur les rameaux extrêmes, les pousses folles, et non sur les maîtresses branches de la littérature. Leur œuvre peut se situer en dehors des grandes voies que suit l’intelligence française. Elle peut créer une façade magnifique de poésie et de beauté à un siècle de prose et d’abstraction. L’inverse aussi peut se produire.

Il n’y a donc pas de réponse à la question : « De quoi demain sera-t-il fait ? » À quoi bon vraiment poser la question ? confions-nous à l’avenir sur la foi du passé.


Voilà dix siècles que la littérature française vit, qu’elle se transforme en restant toujours elle-même. De ces dix siècles, il n’y a peut-être que le quatorzième, et, si vous voulez, aussi le quinzième (dans sa première moitié du moins), qui n’aient pas été de grands siècles littéraires. Cela rassure. Cela doit rassurer surtout après l’épreuve récente qui nous a enlevé l’inquiétude que nous nous étions forgée, avec le concours empressé de quelques étrangers, d’être une nation irrémédiablement en décadence, aveulie et épuisée.

Le XIXe siècle, si riche, si agité, si confus, a poursuivi, à travers tous ses enthousiasmes et toutes ses désillusions, l’élargissement et l’enrichissement de la tradition. Ne jugeons pas un