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enfants courir à la mort pleins d’illusions, comme étaient pleins d’illusions leurs parents, leurs gouvernants et leurs chefs. Nous avons dû livrer nos provinces à la dévastation pour nous donner le temps de nous préparer. Nous avons dû opposer au matériel formidable de l’ennemi, aux machines de toutes sortes, des poitrines d’hommes, la chair vive de nos fils, pour nous donner le temps de construire du matériel et des machines. Nous avons trop aimé nos théories. Nous les avons employées à résister aux faits, à nier les faits: et des milliers de vies françaises ont été immolées à nos entêtements de théoriciens. Nous avons tous été coupables. Nous ne voulons pas que cela recommence. Instruisons nos fils mieux que nous n’avons été instruits nous-mêmes. Donnons-leur une éducation raisonnable. Faisons-leur connaître le monde actuel. Qu’ils apprennent d’abord la France, la langue et la pensée françaises. Mais qu’ils sachent aussi les langues étrangères, les littératures étrangères, les mentalités et les mystiques étrangères; qu’ils puissent surveiller de très près la pensée de l’ennemi. Faisons-leur connaître la science; qu’ils la respectent, et qu’ils soient incapables de tricher avec elle. Qu’ils étudient patiemment toutes les données de fait qui sont les bases fermes de l’idée, toutes les conditions positives qui jalonnent la direction de l’action efficace. Qu’ils ne s’attardent pas à s’abriter dans leurs chères théories, après que l’expérience les a fracassées. Pénétrons-les bien de cette maxime, que, si l’on peut faire un sot emploi du savoir, l’irrémédiable sottise est celle de l’ignorance qui se complaît en elle-même. Il ne s’agit pas d’éteindre ni d’altérer chez nos enfants le génie séculaire de notre peuple, mais de leur apprendre à ne pas le gaspiller, à le discipliner pour lui faire rendre tout ce qu’il peut. Nous voulons développer en eux toutes les qualités qui sont l’éternel charme de la France; mais nous voulons les développer harmonieusement, dans la mesure, et sous le contrôle de l’intelligence armée de savoir et de méthode. Nous n’irons pas ainsi contre notre tradition, mais nous réaliserons notre meilleure tradition dans une norme vraiment moderne et adaptée au besoin impérieux des temps nouveaux. »

De la solution qui sera adoptée pour l’éducation nationale, dépendra pour une bonne part l’avenir de la littérature française : le triomphe d’un idéalisme d’essence romantique, tout appliqué à nous créer un monde illusoire d’images dont nous