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Mais on peut apercevoir dès maintenant que la contagion ne s’étendra pas trop loin. Les ouvrages récents où l’on a le droit de croire qu’il y a le plus d’avenir, semblent indiquer que la littérature française n’est pas près de renoncer à l’intelligence. On y voit l’imagination employée à manifester de la pensée et à la décorer de symboles, les sensations et les sentiments, transformés en idées ou aboutissant à suggérer des idées. La forme, toujours concrète parce qu’elle est forme, et évocatrice de visions et d’émotions attachées aux images et aux rythmes, est le voile transparent qui enveloppe les rapports intelligibles. Il est certain, en particulier, qu’il y a, depuis quinze ou vingt ans, et chez les tempéraments les plus différents, chez des lyriques et chez des réalistes, un retour marqué à la langue saine, à l’expression claire et sobre. Les sensibilités les plus subtiles et les plus rares ne s’estiment pas obligées de se manifester par la fabrication d’un langage excentrique qui n’est pas de chez nous. Un écrivain tel que M. André Gide, qui n’est pas un timide ni un banal, sait tout dire en bon français.

On arrive à comprendre que l’on s’est battu plus d’une fois pour des mots, et qu’il n’y a pas de littérature impersonnelle. La littérature commence où apparaît la personnalité au-delà, c’est la science. D’autre part, la personnalité pure, l’émotion pure, ne s’expriment pas avec des mots : les mots sont des signes qui, par fonction, représentent des objets ou des rapports. L’expression de l’émotion pure et de la personnalité pure appartient à la musique. Entre la musique et la science se situe la littérature. Ce qu’on appelle l’art impersonnel est celui qui subordonne le mieux l’élément personnel à l’expression d’une réalité extérieure ou d’une vérité abstraite ; il est essentiellement pittoresque ou philosophique. L’art personnel est celui où se réduit au minimum le souci de réalité et de vérité, et qui laisse le plus libre essor à la personnalité intime : il est essentiellement poétique.

Entre ces formes extrêmes s’étend une gamme de notations littéraires infiniment variée et toujours capable de recevoir des tons nouveaux qui s’intercaleront entre les tons déjà connus. Mais partout il y aura du personnel et de l’impersonnel, du poétique et du vrai (ou du réel).

L’artiste choisira sa manière selon sa nature, sa conception de l’art, et son sujet. Le plus grand artiste sera toujours le plus