Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre l’idée et l’émotion. Ce qui est condamné, c’est le relâchement de la forme, le sophisme esthétique que, puisque « le cœur seul est poète », l’art est inutile :


Vive le mélodrame où Margot a pleuré !


C’est aussi l’éloquence employée trop souvent comme substitut de la poésie ou comme multiplicateur de l’effet. On est d’accord sur la nécessité d’une technique précise, sur ce que nulle inspiration n’est dispensée de se créer la forme qui l’exprime en perfection ; la pensée ne s’achève que lorsqu’elle a trouvé son expression ; les défauts de la forme sont des défauts du fond.

On paraît revenu dans beaucoup de groupes du goût de l’obscur, de l’incohérent, de l’excessif. On estime les qualités de clarté, d’ordre, de mesure, d’équilibre, qui sont les qualités classiques; mais on imagine un art plus souple, plus complexe, plus subtil, plus riche que celui des classiques; un art, où toutes les richesses de l’inspiration lyrique des romantiques et des symbolistes seront reçues, et qui, en satisfaisant la raison par ses belles proportions, demeurera essentiellement poétique. On ne renonce point au réalisme, mais aux exclusions que prononçait le réalisme; on admet l’idéalisme, mais à la condition qu’il cesse d’exiger la déformation du réel et tous les fades mensonges dont il a été le prétexte. On rêve d’unir art, idée, émotion, réalité, poésie, dans une harmonie digne des Grecs, qui, plus que jamais, demeurent les guides. On laisse les Latins, ces admirables maîtres de rhétorique ; on est un peu las de la rhétorique. C’est vers les Grecs que vont les meilleurs des jeunes écrivains d’aujourd’hui. Ceux même qui les connaissent le moins, se dirigent inconsciemment vers l’idéal de l’hellénisme.

Il y a eu un moment où l’on pouvait craindre que la littérature française ne désertât sa plus ancienne et authentique tradition et ne renonçât à donner l’impression d’une intelligence toute appliquée à traduire le monde en idées claires. La philosophie de M. Bergson, à mon avis mal entendue, a fait des ravages dans certains cerveaux de littérateurs; ils y ont compris que l’intelligence était une qualité inférieure et vulgaire, et ils se sont attachés de tout leur génie, quelquefois avec trop de succès, à préserver leur œuvre de cette tare.