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les autres. Il profite de son reste d’influence sur ses anciens disciples pour les ramener aux pastiches de l’Art grec. Girodet obéit avec enthousiasme et peint Pygmalion et Galatée. Gros poursuivrait peut-être la veine heureuse que l’Empereur lui a ouverte ; mais David, du fond de son exil, y met bon ordre. Il lui écrit en 1820 : « Etes-vous toujours dans l’intention de faire un grand tableau d’histoire ? Je pense que oui. Vous aimez trop votre art pour vous en tenir à des sujets futiles, à des tablaux de circonstance. La postérité, mon ami, est plus sévère : elle exigera de Gros de beaux tableaux d’histoire. Quoi ! dira-t-elle, qui devait plus que lui représenter Thémistocle faisant embarquer la valeureuse jeunesse d’Athènes se séparant de sa famille, abandonnant ce qu’elle a de plus cher pour courir à la gloire, animée par la présence de son chef ? Pourquoi Alexandre, âgé de dix-huit ans, sauvant son père Philippe, n’a-t-il pas été représenté par Gros ? A-t-il aussi oublié les mariages samnites, où les plus belles filles, rangées avant le combat, étaient le prix du vainqueur et de celui qui faisait la plus belle action ? S’il voulait s’en tenir à Rome, que n’a-t-il peint Camille qui punit l’arrogance de Brennus ; le courage de Clélie allant trouver Porsenna dans son camp ; Mucius Scævola, Regulus retournant à Carthage, bien convaincu des tourments qui l’y attendent, etc. L’immortalité compte vos années, n’attirez pas ses reproches ; saisissez vos pinceaux, produisez du grand pour vous mettre à votre juste place… Le temps s’avance et nous vieillissons et vous n’avez pas encore fait ce qu’on appelle un vrai tableau d’histoire : quand vous avez le talent et l’âge encore, vous convient-il d’attendre toujours ? Vite, vite, mon bon ami, feuilletez votre Plutarque… »

On saisit là, au vif, l’aberration d’un grand artiste, dès qu’il s’embarrasse d’un système esthétique. Ces deux axiomes : L’Art ne doit représenter que l’histoire, et le temps où l’on vit n’est pas de l’histoire, nous sont aujourd’hui tout à fait inintelligibles comme d’ailleurs, les axiomes de Courbet, de Zola et de l’école réaliste qui peuvent se résumer ainsi : On ne doit peindre que la nature, et : l’Italie, la Grèce, l’Espagne, la Suisse, les Alpes, les Pyrénées, notre Provence, la Bretagne ne font pas partie de la nature. Ce sont choses qu’il faut accepter comme révélées, car ni la raison, ni le sentiment n’y ont la moindre part. Tous les élèves de David les acceptaient et