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une foule d’autres plats mémorialistes, dont les pages purement documentaires tapissent Versailles. Pour faire le Sacre, Jaffa, Eylau, il ne suffisait pas d’en avoir la commande, il fallait en avoir le talent. Ce talent, ce n’est pas l’Empereur qui le leur a donné. Mais avant lui, après lui, ou sans lui, qu’en ont-ils fait ? Oh ! c’est bien facile à voir…


III

Entrons au dernier Salon ouvert avant le Consulat, le Ier fructidor an VII, dans la grande salle du Musée central des Arts, au Louvre et après avoir acquis pour 75 centimes le livret, où un avis nous prévient que nous pouvons, en toute sécurité, laisser « notre sabre » au vestiaire, considérons les promesses et les résultats du talent des « artistes vivants, » à ce jour. Nous sommes en pleine antiquité gréco-romaine. Des Brutus, des Regulus, des Thésée et Hippolyte, des Aristomène, des Cincinnatus, des Porcia et Marcus, des Curtius gesticulent autour de nous, avec de grands mouvements de gymnastique suédoise, les bouches ouvertes à la manière des mascarons de fontaines, les doigts écartés pour qu’on puisse bien s’assurer qu’il y en a cinq par main, dans des paysages sans horizon, ou des salles vidées de tout objet serviable, portant de gros paquets de linge, sous prétexte de draperies, sans aucun frémissement de lumière, ni d’atmosphère quelconque. Sauf dans de tout petits tableaux, pas un seul regard sur la vie. Il y a bien quelque chose sur le 10 août, mais c’est une allégorie, une autre sur le 9 thermidor, mais c’est encore une allégorie.

Pourtant, un succès se dessine, une rumeur court qu’il y a un chef-d’œuvre, la foule se précipite et s’entasse vers des figures qui jouent une scène de deuil, où l’on croit éprouver le tragique de nos discordes civiles, les tristesses de l’émigration… Hélas ! ce sont encore des Romains, d’authenticité incertaine mais d’un pastiche sûr : Marcus Sextus échappé aux proscriptions de Sylla, trouve, à son retour, sa fille en pleurs auprès de sa femme expirée. C’est l’œuvre de Guérin, élève de Regnault et pensionnaire de la République. Reprenons notre route : voici des Ambassadeurs de Rome venant, en l’an 300, demander à l’Aréopage communication des lois de Solon… C’est le prototype de la scène à ne pas faire, non que le génie ne puisse pas