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mythologique avec la cuirasse d’Auguste. Ce faisant, il dirige l’artiste du côté de la vérité documentaire et vestimentaire. On ne peut plus, quelque envie qu’on en ait, escamoter les caractéristiques de son temps. On prend son parti de ne plus faire un « tableau d’histoire. » On fait autre chose, qu’on croit inférieur, mais à quoi on se dévoue quand même. Eh bien, ce sera un « tableau-portrait ! » dit David, en soupirant, devant le Sacre. Il a toujours admis qu’un portrait devait être traité autrement qu’une scène épique. Du jour où il est obligé de peindre une immense collection de portraits, il s’excuse, à ses propres yeux, de ne plus appliquer les règles de l’épique. Il finit peut-être par se consoler, en songeant qu’après tout les choses ont toujours commencé par être de la vie, avant d’être de l’histoire. Le « petit chapeau » n’est pas historique : tant pis ! il le sera. Et je ne veux pas dire que la vérité, dans ces détails secondaires et eux-mêmes artificiels, soit une condition essentielle de la vie dans l’Art, mais qu’étant donné le génie très réaliste des David et des Gros et leur inaptitude foncière à imaginer quoi que ce fût, c’était une discipline très salutaire que la volonté impériale leur imposait.

Plus encore que David, Gros doit ses chefs-d’œuvre à Napoléon. Sans doute, il portait en lui des dons de coloriste et un goût très vif pour le pittoresque de son époque, mais sans l’Empereur, jamais il n’eût osé leur donner issue. Ce n’était point le dédain des maîtres du XVIIIe siècle qui l’arrêtait, ni une superstition exagérée de l’Antique. C’était seulement la terreur de David. Mais cette terreur était si forte qu’il ne fallait rien de moins qu’un Dieu descendant du ciel pour l’en délivrer et le rendre à ses instincts. C’est justement ce qui lui arriva.

C’était une très riche nature que Gros, séduisante et facilement séduite, hypersensible, la plus frémissante et réceptrice, avec Prud’hon, de toute cette époque, — mais un esprit timide, de peu de confiance en soi, voyant trop ses défauts et pas assez ceux des autres, tourmenté de scrupules, de regrets et de craintes chimériques, halluciné parfois de phobies singulières, toujours dans le besoin d’une doctrine ou d’un maître où s’appuyer. Les circonstances lui en donnèrent d’abord un, David : c’était sa perte. Elles lui en donnèrent un autre, Napoléon : ce fut le salut. C’est lui, pourtant, qui avait choisi David, et c’est le hasard qui lui imposa Bonaparte. Mais le hasard,