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de transformer, sinon sa palette qui est restée la même, du moins l’emploi qu’il en faisait, par un jeu plus compliqué des tons et d’aboutir à de plus riches harmonies.

Enfin, on ne pouvait songer à faire défiler les figures du Sacre, une à une, comme sur un vase étrusque : des groupes pour la vraisemblance, s’imposaient. Et l’ordonnance protocolaire de ces groupes obligeait le peintre à mettre, pour la première fois, ses figures principales et les plus vigoureusement éclairées au second plan, à creuser par conséquent sa composition et à en faire une peinture concave, tandis qu’il les avait toujours faites, jusque-là, non seulement planes, mais convexes. Il suffit de se retourner vers le Léonidas, et mieux encore, de regarder, dans la salle voisine, les Sabines, pour éprouver l’antithèse. Là-bas, les figures principales sont campées au milieu du tableau et au bord du cadre, comme sculptées, en haut-relief, — les autres s’enfoncent peu à peu dans les deux côtés qui fuient et tournent. La composition bombe toujours. Dans le Sacre, pour la première fois, elle creuse.

Elle creuse encore dans les Aigles, qui sont à Versailles. Elle eût creusé davantage encore dans l’Arrivée de l’Empereur et de l’Impératrice à l’Hôtel de Ville, si elle avait été exécutée, car l’esquisse très mouvementée de David nous montre des groupes populaires au premier plan et une des figures principales, l’impératrice Joséphine, qui est debout sur le marchepied de son carrosse, tout au fond du tableau. Enfin on n’a qu’à comparer les gestes dans le Léonidas, les Sabines, le Bélisaire, le Socrate, d’une part, et dans le Sacre, de l’autre, pour saisir combien le protocole a ramené l’art au sens commun et au naturel.

Le protocole ! David maugréa contre lui, tout le temps qu’il fit ce tableau. Bénissons-le au contraire ! C’est lui qui nous a sauvés de cet arbitraire bien autrement redoutable et de cet artifice infiniment plus intoxiquant : l’esthétique et la mode. La contre-épreuve est facile à faire : du Sacre, retournons-nous, de nouveau, vers le Léonidas : voilà ce qu’a fait le protocole. et voici ce qu’a fait la liberté ! La liberté n’est qu’un mot. L’artiste dominé par un système n’est plus libre, l’eût-il librement choisi ou construit à sa guise. À plus forte raison, quand ce système a été construit par des pédants, hors de son pays, hors de son temps, hors de ses sensibilités. Pour y satisfaire et y ajuster sa vision, il faut qu’il refrène ses instincts divergents,