Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concours et que nous les pouvons comparer à loisir dans les deux salles du Louvre contiguës, dont il a été déjà question : la salle Henri II et la salle des sept cheminées. Retournons-les voir, comme nous les verrions pour la première fois, comme un ignorant les peut découvrir et juger. Tout de suite, nous éprouverons qu’il y a, ici, juxtaposés, des êtres de races toutes différentes : d’un côté des figures froides, compassées, impersonnelles, qui ne nous diront rien, parce qu’elles n’ont rien à dire ; de l’autre, des gens qui ont l’air d’avoir existé, d’avoir agi, d’avoir fait partie intégrante de l’humanité, dans un moment de l’histoire et sur un point de l’espace. Ceux-ci ont été voulus par l’Empereur. Nous n’assistons nullement à l’apothéose du militarisme. Nous voyons bien un héros, mais que fait-il ? Il secourt les malades, il couronne une femme, il déplore les horreurs de la guerre. Les trois gestes sont des gestes de sensibilité délicate et de grandeur. Les actions violentes et excessives, ici, appartiennent à la race des statues, non à celle des hommes. Mais surtout ce qui les distingue l’une de l’autre, c’est la vérité des mouvements, c’est la puissance des tons, c’est la densité de la matière. Or, ces œuvres si dissemblables sont des mêmes artistes et à leur même période. Mais le sujet en est différent et la facture suit le sujet.

En désignant ces thèmes, l’Empereur a donc dicté une évolution esthétique. Sans le vouloir, sans même le savoir, il y a obligé ses peintres. Malgré toute la rigueur des principes qu’il enseignait dans ses ateliers, David ne pouvait dévêtir jusqu’à la nudité, comme Romulus et Tatius, le Pape et les autres personnages du Couronnement : première infraction aux lois du beau idéal. Tout au plus peut-on deviner, çà et là, que l’armature académique, discernable dans l’ébauche du Jeu de Paume, soutient ici encore les figures. Ensuite, malgré les lois du beau idéal, il fallait bien que tous ces soldats, ces prêtres et ces politiques fussent reconnaissables, donc ressemblants, c’est-à-dire différenciés par leurs particularités les plus individuelles : d’où, nécessité de faire français, — ou italien, ou allemand, ou turc, — mais non plus grec antique impersonnel, seconde dérogation au principe. Toujours pour la même raison, il fallait parer leurs costumes des couleurs qu’on y avait vues, lesquelles se trouvaient être fort brillantes et contrastées : impossible de leur infliger une couleur terne comme plus « historique. » De là, pour David, nécessité