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chercher une couleur spécifique, une teinte de chair, plus rosée pour les femmes, plus bronzée pour les hommes et, une fois cette teinte trouvée, qu’on appelle le « ton local, » en enduire tout le personnage, d’un bout à l’autre, en se permettant seulement quelques demi-teintes pour « faire tourner. » Ne nous y trompons pas. Ce procédé fut salué en son temps comme un très grand progrès sur la peinture des Chardin et des La Tour et acclamé comme l’Art de l’avenir. Longtemps après, en 1867, M. Delaborde, parlant de M. Ingres, loue encore le maître de cette nouveauté. « Il n’est pas coloriste à l’exemple des Vénitiens qui, comme Paul Véronèse, réussissent à déduire l’harmonie de la multiplicité même et de l’éclat des tons employés… L’Art du maître moderne consiste plutôt dans la franchise avec laquelle il reproduit l’unité caractéristique de la teinte répandue sur chaque objet, ce que dans le vocabulaire des ateliers, on nomme « la teinte locale, » c’est-à-dire cette couleur générale qui, au premier aspect, enveloppe et absorbe les nuances diverses d’un visage, d’une draperie, d’une figure même tout entière. Point de ces touches juxtaposées conformément à une assez mauvaise tradition française : point de ces échantillons de tons se succédant comme les pièces de rapport d’une mosaïque et morcelant si bien l’ensemble d’un corps que celui-ci semble n’avoir qu’une vie multiple et, pour ainsi dire, anarchique… Partout il adoptera pour le coloris de chaque objet une gamme presque monochrome, diversifiée seulement en soi par des demi-tons… » Voilà bien exactement les pratiques de l’impressionnisme dénoncées comme surannées et heureusement remplacées par celles de l’école de David.

Quant à la facture, elle procède aussi comme tout le reste d’une idée de réaction et d’une idée d’imitation : réaction contre le faire vif et apparent du XVIIIe siècle, imitation des marbres grecs. Il faut arriver à donner, dans une figure peinte, la sensation du galbe et du poli d’une statue antique, en reproduisant l’homogénéité absolue du marbre. Pour cela, on s’applique à dissimuler le plus possible le travail de la brosse. Avec le plus grand soin, on évite tout accent, tout empâtement, même tout relief qui pourraient accrocher la lumière. Pour être « moderne » en 1800 et trouver grâce devant la « critique d’avant-garde, » il faut un faire mince, lisse et poncé. « La beauté du coloris, avait dit Winckelmann, consiste en une exécution finie