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dans le Départ chez la nourrice, où, manifestement, les acteurs de cette paysannerie attendrissante s’entassent pour le plaisir d’une confusion et d’un grouillement pittoresques. David arrive et sépare brutalement tout ce monde : chaque figure est appliquée, une à une, sur le fond, écartelée en espalier, non seulement nue, mais en un décor nu, comme sur un vase grec. Il n’a pas pu le faire tout à fait dans les Horaces et le Brutus, mais il y arrive dans les Sabines et la plupart des œuvres qui les ont suivies. La scène se développe donc tout entière en largeur, jamais en profondeur. C’est une procession gesticulante, tout se passant sur un seul plan, comme dans un bas-relief. Les figures principales sont mises au premier plan et au milieu, les autres s’échelonnent des deux côtés en s’éloignant et en tournant dans le cadre : c’est de la peinture convexe, au rebours de cette peinture concave qu’on voit chez Rembrandt, selon le mot de Fromentin. On arrive, de la sorte, à produire à peu près l’effet que produisent les figures échelonnées sur la panse d’un vase antique.

Chaque figure ainsi plantée à part, sans aucun rapport avec les autres qu’un rapport idéologique, est traitée comme une statue. David avait vu cela dans quelques peintures d’Herculanum et de Pompéi ; il avait cru le discerner à traversées descriptions de Pausanias, dans les tableaux disparus de Polygnote ; le Pérugin, enfin, lui avait semblé avoir sur ce point réalisé l’ordonnance idéale. Après son voyage en Italie, il a donc tendu de plus en plus à s’en rapprocher.

Les figures étant ainsi distribuées et posées, comment les dessiner ? Évidemment selon le canon grec, c’est-à-dire en les ramenant toutes, de gré ou de force, au type adopté par la statuaire. Winckelmann ayant dit : « On remarque, dans les statues des dieux et des déesses, que le front et le nez sont presque entièrement formés par la même ligne, » peu à peu toutes les figures de Guérin, Gérard, Girodet, y compris les soldats de l’armée d’Italie et d’Egypte, furent tenus d’avoir le nez à l’alignement du front. Pour conserver à ce type toute sa pureté, il fallait se garder de suivre de près le modèle, forcément individualisé, si beau fût-il. « Et quand l’artiste pourrait puiser dans la nature toutes les autres parties, elle ne pourra jamais lui donner ce contour pur, gracieux et correct qui forme la véritable ligne de beauté et qu’on ne trouve que dans les statues grecques, » avait