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Quelques érudits pourtant ont trouvé autre chose. Contraints d’éprouver, comme tout le monde, le mortel ennui qui se dégage du Léonidas ou des Sabines, ne se sont-ils pas avisés de cette raison : si cette image de la vie antique est froide et manquée, c’est qu’elle est remplie de fautes archéologiques et que David n’avait pas la connaissance profonde, mais seulement la « fantaisie de l’Antique. » Oh ! les plaisants pédagogues ! Où ont-ils vu que l’anachronisme détruisit la saveur et la vie ? Les figurations de scènes antiques ou mythologiques chez les Renaissants sont remplies d’anachronismes, et quoi de plus vivant ? La Renaissance, elle aussi, s’est enthousiasmée pour les chefs-d’œuvre antiques et a cherché à faire entrer le peuple des statues nouvellement déterrées dans ses figurations, mais sans rien proscrire de ce qui en était, déjà, la clientèle habituelle. De là, ces archaïsmes et ces anachronismes si savoureux, qui sont la vie même. Ils n’en sont pas une condition nécessaire. Mais le fait est là : du jour où l’anachronisme disparaît de ces visions antiques, la vie a disparu.

Le présent nous aide à comprendre le passé. De nos jours, l’idée dominante dans l’art et dans la critique est qu’il n’est pas de forme de la vie courante, non pas même de formes artificielles, c’est-à-dire dépendantes du bon et du mauvais goût des ingénieurs et des mécaniciens, qui ne soient d’admirables sujets d’art, même pour la statuaire, et des sources d’émotions esthétiques, — tout résidant uniquement dans le sentiment qui les anime et les interprète, ou dans la sensibilité qui les perçoit. L’habit noir, le cube d’une usine, le capot d’un automobile, le fuselage d’un avion, recèlent autant de beauté que la simarre de Titien, la cathédrale d’Amiens, le cheval de Phidias ou l’aile de l’oiseau, et doivent être représentés de préférence, parce qu’ils sont plus significatifs de notre vie actuelle et parce que l’artiste, les ayant sous les yeux, doit mieux en pénétrer le sens. Cette thèse a priori, que rien ne démontre, a embarqué des talents sans nombre dans des entreprises sans espoir, où ils ont piteusement échoué. Toutefois, telle est la force de la théorie pure, sur les esprits incapables d’observation directe, que celle-là traîne encore dans les livres et dans l’enseignement, en dépit de l’expérience mille fois renouvelée.

L’expérience montre que si tout dans la nature répond bien, en effet, à notre sentiment du rythme des formes et de