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Tout cela, c’est-à-dire la tradition des Watteau, des Boucher, des La Tour, des Perronneau, des Chardin, des Fragonard, tradition française s’il en fut, devait être brisée net. Si on l’avait apprise, il fallait la désapprendre. C’était artificiel, convenu, faux, mou, efféminé, d’un charme équivoque, d’une séduction traîtresse, coupable. La France nouvelle, régénérée par la philosophie et le culte de Rome, se devait de créer un art qui répondit à ses aspirations mâles et austères : Elle était saturée jusqu’à la nausée de ce que le XVIIIe siècle lui avait prodigué : la galanterie des fêtes galantes, la sensibilité pleurarde de Greuze, l’effronterie de Baudouin, les escarpolettes, les gimblettes et les couchers de la Mariée, les bergeries sucrées de Boucher et les mythologies de Natoire ou des Van Loo ; saturée des sous-entendus grivois, des grâces coquines, des yeux en coulisse, des mains fureteuses, des fichus bâillants et, tout autant, de leur antithèse : les vertus mesquines de Chardin et son pittoresque pot-au-feu.

De là, un désir fou, une ivresse épique de se refaire une virile image de l’humanité aux grands gestes héroïques des Brutus, des Régulus, des Scaevola. On était las aussi des vivacités, des prestesses, du tour sémillant et spirituel que Watteau et Fragonard donnaient à leurs figures, d’autant qu’entre les mains de leurs mauvais imitateurs il avait tourné au maniéré et au tourmenté. On ne voulait plus, enfin, de la mimique théâtrale enseignée à l’Académie royale. « Voyez-vous, disait David à Delécluze, en lui montrant deux têtes dessinées d’après l’antique à Rome, dans sa jeunesse, voilà ce que j’appelais alors l’Antique tout cru. Quand j’avais copié ainsi cette tête avec grand soin et à grand’peine, rentré chez moi, je faisais celle qui est dessinée auprès. Je l’assaisonnais à la sauce moderne, comme je le disais en ce temps-là. Je fronçais tant soit peu le sourcil, je relevais les pommettes, j’ouvrais légèrement la bouche, enfin je lui donnais ce que les modernes appellent de l’expression et ce qu’aujourd’hui (1807) j’appelle de la grimace. »

Où fallait-il donc aller pour retrouver le naturel, le simple, le grand ? À la nature ? Point du tout : nul n’y songe. Aux maîtres de la peinture : Vélazquez, Rembrandt, Titien, Rubens, Franz Hals, Léonard, Véronèse ? Non plus, il n’en est pas question. Ce qu’il faut consulter, c’est non les peintres, mais les statuaires. Le prototype de l’art pictural ne saurait être dans