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peintre dans son atelier, suffisent pour faire apprécier le genre d’importance que ce souverain prêtait réellement aux arts et à la peinture, » dit, en 1855, cet austère critique des Débats. Un autre, un biographe de Gros vient-il à raconter que la commande du Combat de Nazareth, où triompha Junot, fut d’abord confié à ce peintre, puis finalement rapportée, il en accuse « la mesquine et inavouable jalousie de l’homme qui, s’apprêtant à confisquer la France, à faire de la patrie un tremplin, la plier à toutes les exigences de ses fantaisies despotiques, ne pouvait souffrir qu’une gloire rivale se manifestât à ses côtés. » Enfin, l’un des derniers biographes de David est-il mécontent que l’Empereur ait refusé à son héros la direction suprême des travaux officiels, il conclut : « Au fond, Napoléon, là comme ailleurs, ne se souciait que de lui-même. En soutenant David, il ne songeait qu’à sa propre gloire. »

Il est vrai, — et, d’ailleurs, on ne voit point à quoi d’autre ont songé Jules II en soutenant Michel-Ange, Marie de Médicis, Rubens, ou le More, Vinci. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Les goûts esthétiques de Napoléon, si tant est qu’il en eut, ne sont point en cause, encore moins son désintéressement. Les mobiles de ses actes et les traits de son caractère sont du domaine des historiens de l’Empereur : ce qui regarde l’historien de l’Art, ce sont leurs effets sur les œuvres. Ce qu’il s’agit donc de démêler, c’est quelles conséquences, heureuses ou néfastes, put avoir, pour notre École française, sa brusque immixtion dans ce domaine, qui lui était fort étranger. Je ne veux point parler des choix qu’il fit parmi les artistes. On les connaît et, que ce soit le hasard ou quelque divination qui les ait dictés, on les approuve. Avoir pris David comme premier peintre, Prud’hon comme portraitiste, d’abord de Joséphine, puis du roi de Rome, enfin comme professeur de Marie-Louise, Gros comme peintre des hauts faits du règne, Houdon comme portraitiste en marbre, Isabey comme costumier et ordonnateur, Denon comme directeur général et Visconti comme conservateur des Antiques, c’est de quoi on louerait n’importe quel Mécène. Rien ne prouve que les décisions d’une commission parlementaire eussent été plus judicieuses. Et, d’ailleurs, comment auraient-elles pu l’être ? C’étaient, là, les plus grands artistes ou érudits d’art du temps. Mais ce n’est pas Napoléon qui les a créés, ni leurs postes officiels qui ont pu