Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préjugés et d’ignorances. C’est en effet une chose qui stupéfiera l’avenir que notre ignorance et notre incompréhension de la terre et des choses africaines, lorsque nous débarquâmes à Sidi-Ferruch, au mois de juin 1830. Non seulement, ô hommes africains, ô vrais fils de la terre, vous-même aviez perdu conscience de vos origines, mais nous, qui aurions dû savoir, nous ne savions pas que nous rentrions ici dans une province perdue de la Latinité. Ces mots d’Arabes, d’Orient, de couleur locale, d’exotisme, nous troublaient la cervelle et nous égaraient. Nous ne comprenions point, ô hommes d’Afrique, que vous n’étiez pas plus des « Arabes » que, nous Français, nous ne sommes des Allemands, parce que, voilà quelques centaines de siècles, des hordes germaniques envahirent notre pays. De même que Fustel de Coulanges dut déchirer le voile d’erreurs tissé par les historiens romantiques autour de notre Gaule, je des arracher le faux masque appliqué sur le visage de l’Afrique par les amateurs de couleur locale.

Parmi eux des écrivains de grand talent comme Fromentin avaient encore contribué, par l’éclat de leurs peintures, à fortifier cette erreur initiale, erreur funeste, qui nous faisait considérer nous-mêmes comme des intrus en un pays détaché de notre patrimoine, et qui nous séparait d’hommes, momentanément nos ennemis, mais nos frères en traditions et en civilisation. En ne voyant et en n’étudiant que ce qu’il avait immédiatement sous les yeux, Fromentin créait ce préjugé que l’Afrique nous est radicalement hostile, qu’il n’y a rien de commun entre les Africains et nous et que nous sommes à tout jamais étrangers et fermés les uns aux autres.

Et ainsi je me trouvais pris entre deux conceptions de l’Afrique, qui semblaient également décourageantes : celle de Fromentin et celle de Flaubert. Le premier certes a conscience des origines africaines. Mais il est convaincu que cette Afrique du passé est morte, qu’il n’y a aucun lien entre elle et celle du présent. Le second, au contraire, ne voit que l’Afrique du présent, et il ne songe pas un seul instant à remonter jusqu’à ses origines. Pour moi, j’ai fait la synthèse du présent et du passé, — et j’ose prétendre que, cela, c’était toute une conception nouvelle non seulement de l’Afrique, mais du rôle que nous sommes appelés à y jouer.

Sans doute, le cardinal Lavigerie, dont on ne louera jamais