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actives et les plus fécondes de ma jeunesse, dix années passées sur cette terre d’Afrique font peut-être de moi autre chose qu’un simple passant en ce pays. Sans doute, je ne puis pas dire comme Sophonisbe la Carthaginoise, la fille des colons de Tyr, à Massinissa, le cavalier numide, le descendant des rois indigènes : « Nous sommes deux Africains. Moi aussi, comme toi, je suis née sur cette terre ! » Pourtant, s’il suffit d’avoir donné son cœur à un pays, de lui avoir consacré le meilleur de ses actions et de ses pensées, pour être sien, peut-être ne suis-je pas trop indigne de ce beau nom d’Africain.

Et j’entends par ce mot ce qu’entendaient nos pères latins, les ancêtres et les fondateurs de la civilisation occidentale. Il n’y a pas d’autre Afrique que la nôtre, l’Africa de Salluste, de Virgile et de saint Augustin, celle qui commence aux jardins de Cyrène et aux plages désolées de la Grande Syrie et qui finit, par-delà les colonnes d’Hercule, aux rivages de Volubilis la maurétanienne. Repoussons, de tout notre cœur de Latins, cette appellation sacrilège d’ « Afrique du Nord », qui fut inventée par des géographes germains, comme si les autres Afriques pouvaient prendre rang à côté de la nôtre ! Nos anciens distinguaient soigneusement l’Egypte et même la Libye, le pays des Garamantes et celui des Grands Singes, les profondeurs obscures et barbares de la Nigritie, de l’Afrique proprement dite. Que les autres contrées, celles des Nègres et celles des Grands Singes, prennent, si bon leur semble, des qualificatifs ou des épithètes distinctives ! Nous autres, nous sommes l’Afrique, tout court.

Mais, non seulement nous ne sommes pas encore une nation, nous avons perdu jusqu’à ce sentiment de solidarité et d’affinité profondes qui groupait tous les habitants de l’antique Africa, qui en faisait une famille à part et vigoureusement caractérisée parmi les autres grandes familles de l’Empire latin. Eh bien ! si quelqu’un a contribué à raviver ce sentiment, si quelqu’un a tenté de ressusciter l’image glorieuse d’un grand empire africain, en l’illustrant par une œuvre exemplaire et durable comme une Enéide, c’est l’auteur de Salammbô, c’est le grand écrivain, dont nous commémorons aujourd’hui, ce 12 décembre 1921, l’anniversaire de naissance.



Jusqu’à lui, — rappelez-vous, en effet, — le nom même de