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avait promise et qui devait faire l’objet d’un engagement officiel, on ne la lui garantit plus. Le silence de l’Amérique a entraîné l’abstention de l’Angleterre, et, après avoir réclamé une sûreté et en avoir accepté une autre, nous n’en avons plus aucune. Nous ne saurions évidemment désarmer sur de simples déclarations verbales, si publiques et si solennelles qu’elles soient ; elles pourraient toujours être désavouées, comme l’a été la signature de M. Wilson. A moins d’un écrit ratifié par le Sénat et ayant, par conséquent, force diplomatique, nous n’aurions qu’une ombre dans la main. L’Angleterre reste toute prête à s’obliger, si l’Amérique s’oblige ; mais sans une assurance positive de celle-ci, celle-là ne semble pas décidée à nous offrir d’avance sa propre garantie. L’une et l’autre, sans doute, seraient amenées à intervenir, si nous étions attaqués de nouveau, car une menace dirigée contre l’intégrité de notre territoire tournerait vite en menace contre leur indépendance ; mais, en attendant qu’elles prissent parti, nous serions seuls, et ce serait à nous de nous défendre.

Si jamais, d’ailleurs, on en revenait à la rédaction d’un pacte d’assistance, il serait bon de renoncer au texte de 1919, qui plaçait la France dans la position d’une nation protégée et qui, ne lui imposant à elle-même, en apparence, aucune contre-partie, risquait de lui imposer, en réalité, une inacceptable restriction de sa souveraineté. En présence d’un accord de cette sorte, l’Allemagne aurait pu se jeter sur l’Angleterre, sans que nous eussions à bouger, et elle aurait été libre de chercher à abattre la Puissance garante avant de s’en prendre à la nation garantie. Le problème est donc très complexe, et l’on ne peut se flatter de l’espoir de le voir résoudre à Washington. Ce sera déjà beaucoup si nous arrivons à en établir les premières équations et à en dégager quelques inconnues. De tant de mauvais géants qu’a engendrés le dragon de la guerre ou qui sont nés de ses dents dispersées, que M. Briand en écrase seulement deux ou trois. Nous lui ferons grâce de la toison d’or. Supplions-le seulement de ne pas tarder à revenir. La France est en France, même lorsque son Gouvernement est en Amérique.


RAYMOND POINCARE.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.