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François Rabelais. Il n’est pas savant comme le sera son fils : au temps de sa jeunesse on ignorait encore cette culture nouvelle de la Renaissance, large et pour ainsi dire équilibrée, où les arts et métiers, les sports même occupent leur place à côté des humanités ; mais il n’est pas ennemi des idées nouvelles et sait en assurer le bénéfice à Gargantua. C’est un homme du xve siècle, comme son fils est un homme de la Renaissance : la différence des deux générations est parfaitement indiquée.

Sa maison est certes confortable et bien munie de harnois de gueule, mais elle ne ressemble guère à une demeure royale, et son domestique est le plus simple du monde : si Rabelais n’avait pas écrit deux ou trois lignes, citant ici une expédition que Grandgousier a faite contre les Canarriens, disant là qu’il « feist convocquer son conseil, » comment reconnaitrait-on un prince dans le simple propriétaire campagnard qu’il nous peint ? Jeune encore, le bonhomme réconforte gauloisement sa femme en couches et traite ses amis sous la Saullaye. Vieux, il mène son « ménage ; » prie dévotement dans son lit (car il est fort pieux) comme il sied à un homme d’âge, ou bien « à genous, teste nue, encline en un petit coing de son cabinet ; » reçoit sans cérémonie ses bergers après souper, et se chauffe, le soir, à un beau, clair et grand feu, où il fait rôtir des châtaignes, et, attendant qu’elles grillent, « escript au foyer avec un baston bruslé d’un bout dont on escharbotte le feu, faisant à sa femme et famille de beaulx contes du temps jadis… »

On gagne aujourd’hui le hameau de La Devinière par un sentier fleuri d’aubépines qui s’embranche sur la route de La Roche-Clermault à Lerné, à un quart de lieue environ de Seuilly. La dernière maison à gauche, une petite ferme du XVe siècle, c’est la demeure de Grandgousier et d’Antoine Rabelais. Au rez-de-chaussée s’ouvre une belle pièce ornée d’une cheminée ancienne. Sur la façade, extérieurement, un escalier de pierre, qui s’appuie sur deux piliers, mène à la chambre principale du premier étage. C’est là, où l’on jouit d’une vue charmante sur la campagne, que François Rabelais a vécu. Une vaste cheminée, qu’on a refaite sur le modèle de l’ancienne, orne la pièce, et, dans la profonde embrasure de la fenêtre ouvrant sur la vallée du Négron, on a taillé un banc de pierre : qui sait si l’enfant ne s’y asseyait pas pour apprendre à lire ? Sur le mur, en face du banc, on distingue encore, malgré un