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faveur du Pouvoir temporel : telles étaient les mœurs du temps.

Strossmayer, qui mit une part de son génie, et certainement tout son cœur, à populariser l’idée de la réconciliation des Eglises, et qui la rendit accessible même à certaines sphères russes de son époque, avait l’intuition des difficultés qu’éprouverait la Cour de Rome à défendre les intérêts d’une cause si noble contre certaines influences latines, sinon même italiennes. Lui surtout, l’éminent théologien, ne comptait pas beaucoup sur la vertu persuasive de la dogmatique : il était convaincu qu’à la base de toute politique de rapprochement se plaçait la compréhension de l’âme slave, en tout ce que le mysticisme de cette âme emprunte au sentiment national, et en tout ce que ce sentiment national recèle de juvéniles susceptibilités. Il partait même de là pour entrevoir que l’Eglise universelle, si jamais l’Orient rentrait dans son sein, devrait associer à son propre gouvernement une représentation plus large, et surtout plus effective, des diverses nations dont l’ensemble constitue la catholicité. Ces tendances, dont il ne faisait pas mystère à ses amis et à ses hôtes, car il était un éblouissant causeur, expliquent peut-être qu’il soit mort respecté, mais tenu à distance tant par la Cour de Rome que par celle d’Autriche. En revanche, sa mémoire n’est étrangère ni méconnue dans aucun pays slave : le fait est qu’elle continue à planer sur le grand problème religieux qu’il avait étudié mieux que personne et dont l’étendue se révélera peut-être avec la régénération de la Russie.


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La perspective qu’une question religieuse d’une telle envergure puisse être incorporée à l’ensemble du problème russe ne saurait manquer d’ouvrir un champ étendu aux conceptions, aux expériences, aux intrigues aussi de la politique. Elle nous met tout d’abord en présence de conjectures. En quel état « l’âme religieuse » de la Russie sortira-t-elle d’une crise qui date de la période constitutionnelle, et jusqu’à quel point ses besoins de croyance et de culte auront-ils défié les résultats de révolutions successives ? Le dernier essai législatif digne de ce nom qui ait été fait pour doter la Russie d’un statut religieux moderne remonte au temps de Kerensky, — car la proclamation de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le 10 juin 1918, par