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national ? Pour ménager les Polonais, fera-t-elle plutôt fond sur la propagande catholique latine, dont ces derniers, au surplus, s’offriraient volontiers à être les zélateurs ? Les Polonais sentent très bien le danger, à leur point de vue, des affinités uniates entre la Galicie orientale et l’Ukraine, comme d’ailleurs l’Autriche les avait senties en confiant à Mgr Szepticky, toujours vivant, et sans doute agissant, la mission que nous avons rappelée. Les Uniates étaient encore nombreux en Ukraine à la fin du XVIIIe siècle ; on en comptait près de trois cent mille dans le seul diocèse de Chelm, le dernier qui fut supprimé par le Gouvernement russe en 1875, et celui-là même qui forme l’objet d’un « contesté » célèbre entre l’Ukraine et la Pologne. S’il est exact qu’une Eglise ukrainienne autonome tende à se constituer et que certains de ses dignitaires, comme Mgr Alexis, évêque de Cherson, marquent des dispositions à l’union avec Rome, la question religieuse et la question politique, au point de vue polonais, sont en train de chevaucher de plus en plus l’une sur l’autre. Il se pourrait donc qu’avant longtemps le nonce à Varsovie eût sur les bras quelque affaire qui lui rappelât les émotions de la période critique en. Haute-Silésie.

Tout semble concourir, au contraire, à faire de la Jugoslavie actuelle un magnifique champ d’expérience de la politique qui vise à réconcilier les deux Rites. Le nouvel État englobe à peu près six millions de Serbes orthodoxes et un chiffre sensiblement égal de Croato-Slovènes catholiques. L’Occident et l’Orient confessionnels s’y touchent sans se combattre, — en dépit des informations tendancieuses auxquelles certains organes catholiques français ont le plus grand tort de faire écho, — ou plutôt, les mœurs et les événements historiques les ont déjà rapprochés. Au rebours de ce qui se passe d’ordinaire, le nationalisme a été là un agent de tolérance religieuse. En 1848, le Croate Jellacitch se fit consacrer Ban par le patriarche serbe-orthodoxe de Karlovtsi. L’illustre Strossmayer était aussi populaire à Belgrade qu’à Zagreb. Pendant les trente dernières années du régime des Habsbourg, toute la partie éclairée des Croates et des Dalmates, clergé catholique compris, se rendaient compte que la clef de l’émancipation nationale consistait en une ferme cohésion avec la Serbie. Le scandaleux procès d’Agram de 1909, au cours duquel le gouvernement impérial et royal s’arma de faux témoignages contre le patriotisme des inculpés, n’a pas eu