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Sous l’empire de la nécessité, la bourgeoisie a trouvé en elle-même et manifesté des ressources d’énergie, un sens de l’initiative et de l’organisation qui, trop souvent dans l’histoire, lui avaient fait défaut. Dans une remarquable conférence, M. Georges Risler notait à juste titre combien, jusqu’ici, elle était demeurée réfractaire aux ressources de l’association. Prenant un fait concret, il montrait, par exemple, combien elle avait été inférieure à la classe ouvrière pour se servir de l’association à l’effet d’améliorer les conditions de son logement. Les difficultés avec lesquelles elle s’est trouvée aux prises semblent lui avoir rendu plus sensible la nécessité de serrer les coudes pour défendre son existence menacée. On a vu dans ces dernières années surgir à l’envi des ligues de commerçants, de propriétaires, de locataires, de consommateurs, dont l’action n’a pas été stérile.

Parmi tant d’organisations, il en est deux sortes qui méritent de retenir l’attention, tant par leur caractère original que par l’activité qu’elles ont déployée.

La première, c’est celle de ces groupements de citoyens, de ces « ligues civiques » qui se sont spontanément constituées dans plusieurs des villes où l’agitation ouvrière tendait à paralyser la vie publique et où les mouvements grévistes revêtaient un caractère révolutionnaire. Résolus à ne pas se laisser brimer, on a vu des bourgeois de tout âge et de tout sexe courir à la défense de l’ordre et suppléer par leur initiative personnelle aux défections du prolétariat. Le fait de s’être révélés aptes à conduire des autobus ou des tramways, à assurer la distribution du gaz et de l’électricité, à protéger la liberté de la rue, est un témoignage concret de la capacité de combat qui s’est révélée chez les membres de la bourgeoisie menacée.

Dans un domaine tout différent, notons un autre phénomène singulièrement suggestif : la formation des premiers syndicats d’intellectuels. Il y a cent ans, au lendemain des guerres de l’Empire, en face de l’énorme développement de la richesse matérielle, l’intelligence avait couru un risque analogue à celui qui se dessine aujourd’hui. Et l’une des originalités les plus curieuses du saint-simonisme avait été de revendiquer ses droits. La même tendance se dessine en ce moment dans tous les compartiments de notre monde intellectuel. Ingénieurs, médecins, littérateurs, etc. manifestent à l’envi leur