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reportant sur les derniers moments de ce qu’on regrette le plus au monde. Je garderai religieusement la confidence que vous avez été autorisé à me faire jusqu’à ce que l’exécution des dernières volontés dont vous êtes chargé en permette la publication[1]. Je ne l’ai pas même écrit à Lascours, quoique persuadé que vous le lui auriez dit. J’avais déjà cédé au besoin de m’affliger avec lui ; mais j’ai rempli votre commission dans une seconde lettre. M. de Rocca qui déjà, j’espère, rendait justice à toute mon amitié pour lui, sait sûrement que je suis instruit de ce lien formé depuis longtemps, dont j’avais bien quelque idée mais qui ne m’avait pas été confié avant cette autorisation dernière dont vous avez été chargé et dont je sens profondément tout le prix. Il jugera combien ce lien m’attache de plus en plus à lui, et tout ce que je voudrais lui exprimer ; mais n’étant pas tout à fait assuré de ce que vous lui aurez dit, j’aime mieux vous prier, pour le moment, d’être mon interprète. Je suis bien inquiet de sa santé déjà si mauvaise ; vous êtes ensemble à Coppet ; le jour viendra où vos devoirs à tous vous ramèneront à Paris ; si ce séjour lui était physiquement ou moralement insalubre, il serait plus près de vous à La Grange, et j’éprouverais une inexprimable consolation à recevoir de lui ce témoignage qui me regarde comme un de vous et comme son ami personnel. Vous n’ignorez pas que les conjectures de la société sont conformes à la vérité dont vous suspendez la publication. Deux personnes qui ne sont point dans votre confidence me l’ont mandé. Tout ce que vous m’exprimez sur Victor est bien répété par mon cœur. Vous avez senti avec quelle tendre et douloureuse anxiété j’attendais des nouvelles de votre angélique sœur ; j’aime à la savoir avec Mlle Randall, cette admirable amie, que j’ai bien appréciée, quoique je ne l’aie pas voulu importuner dans ses soins du sentiment qu’elle m’inspirait. Vous ne me dites rien de M. Schlegel. Est-il parmi vous ? parlez-moi de lui, je vous prie ; parlez-moi bien en détail de votre réunion à Coppet, et particulièrement de la santé de votre pauvre sœur, plus inquiétante à présent que lorsqu’elle était soutenue par ses

  1. La confidence dont il est question dans cette lettre est celle du mariage de Mme de Staël avec M. de Rocca qui n’était pas connu du public. De ce mariage était né un fils qui avait été élevé secrètement aux environs de Lausanne, mais que Mme de Staël, dans son testament, désignait comme devant participer à sa succession et que le duc et la duchesse de Broglie traitèrent toujours en frère.