Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maladie n’est pas assez grave pour me priver de leur société en chambre, mais je perds du temps et j’en sens tout le prix. Je jouis bien de tout ce que je vois en M. votre fils. Je ne veux pas avoir l’air du compliment ; mais c’est un éloge complet que de vous dire que mon amitié est satisfaite. Ces messieurs vous donneront des nouvelles de Paris. Aucune ne m’a fait autant de plaisir que d’apprendre que les deux frères[1]vont se retrouver, et que vous les réunirez avant le départ pour lequel je vais préparer mes lettres. Est-il vrai que vous aussi vous pensez à visiter cette terre de la liberté[2]où elle prospère si bien, tandis qu’il faut tant de temps et de vicissitudes avant que, dans les anciens pays, on puisse parvenir à la voir ou à la prévoir ? Je n’ai rien de nouveau à vous dire sur ma situation ; elle fut pendant presque toute ma vie sous la sauvegarde d’un caractère heureux. Depuis le coup qui m’a frappé, mon existence est tout autre. Je reçois de mes enfants et de mes amis toutes les jouissances, toutes les consolations dont mon cœur soit susceptible. Quant à mes rapports, ils sont les mêmes ; c’est toujours avec la même préférence que je me livre avec assez de succès à mes occupations de cultivateur. J’espère que l’année ne se passera pas sans que je puisse vous parler moi-même de la tendre amitié que mon cœur vous a vouée.

Recevez les hommages de tous mes enfants et parlez de nous a M. votre fils et Mlle sa sœur[3]qui veut bien, j’espère, se rappeler La Grange.


XIV


A Auguste de Staël.

Aulnay, 16 août[4].

Je m’étais fait un plaisir, monsieur, de vous mettre en

  1. La Fayette veut parler ici du second fils de Mme de Staël, Albert, qui devait périr dans un duel en Suède.
  2. Mme de Staël pensait en effet à partir pour les États-Unis, et ce fut pour s’y rendre quelques années plus tard que s’évadant de Coppet, elle fit le tour de l’Europe.
  3. Albertine de Staël, plus tard duchesse de Broglie.
  4. Aulnay, d’où est écrite cette lettre, était une terre appartenant à la comtesse de Tessé. Elle n’est pas datée et se rapporte au moment où Mme de Staël ayant des intérêts en Amérique pensait à y aller elle-même et en tout cas à y envoyer son fils.