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amies sont venues partager notre retraite, et vous jugerez sans peine qu’elles et nous avons bien souvent parlé de vous, et avons fait ensemble bien des vœux pour votre bonheur. Je vous conjure de satisfaire le désir que j’ai de connaître tout ce dont votre amitié pourra me faire part : Mme de Tessé s’unit de tout son cœur à ce sentiment et vous renouvelle l’expression de tous ceux qu’elle a pour vous.

Depuis la délivrance à laquelle vous avez tant contribué, j’ai joui de la plus grande mesure de félicité qu’un patriote dans ma position et dans celle des affaires publiques puisse goûter. La santé de ma femme interdisait à elle et même à moi le voyage d’outre-mer. Sans m’inquiéter pour sa vie, et en me laissant l’assurance qu’un long régime la rétablira, je la voyais heureuse et je l’étais moi-même de la réunion de nos familles et de nos excellents amis, du mariage de ma fille avec le frère de Maubourg[1], de la comparaison journalière des cinq années précédentes avec le charme, de ce rassemblement inespéré dans le plus tranquille lieu de l’Europe. Mais les départs successifs ont ensuite déchiré mon cœur ; les deux amies dont l’une avait passé l’hiver avec nous, ont été obligées de nous quitter ; il y a longtemps que Maubourg est séparé de sa femme et d’une partie de sa famille. La mienne part et il ne me reste ici que mon fils, que j’eusse été heureux de vous présenter. Nous avons la consolation d’habiter Witmold. Maubourg est à une lieue d’ici ; mais Puzy est établi près d’Hambourg, d’où il s’embarquera bientôt pour les États-Unis.

Les hostilités imminentes entre les deux républiques que je souhaite le plus voir unies ont pour moi des inconvénients particuliers qui commenceraient au moment même où je mettrais à la voile ; le bruit public nous inquiète pour la neutralité de ce pays-ci. Il faut pourtant, à la manière dont l’Europe se divise, qu’un Français y soit dans sa patrie, chez les ennemis, ou chez ses alliés. Il est étrange que lorsqu’elle se partage entre deux systèmes politiques, celui des gouvernements représentatifs ne paraisse pas offrir à des amis de la liberté une retraite convenable et sûre. Mais cet amour de la liberté est regardé, dit-on, comme un obstacle à son établissement. Ma politique ne s’élève pas à cette hauteur.

  1. Anastasie de La Fayette avait épousé Charles de La Tour-Maubourg, le frère cadet de l’aide de camp de La Fayette.