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l’esprit qu’il faut relire l’Allemagne, ce qu’ont parfois négligé de faire quelques-uns de ses plus sévères critiques, et l’on sera plus juste envers l’auteur qu’en lui reprochant de ne pas avoir jugé par avance avec sévérité une Allemagne que nous avons découverte non sans surprise et qui n’existait pas de son temps.

Admettons qu’il règne dans tout l’ouvrage un parti pris de bienveillance qui a pu faire tort à la clairvoyance de Mme de Staël. Cette part d’illusion n’a-t-elle pas été entretenue en France, durant tout le siècle dernier, par des écrivains illustres à la popularité desquels leur engouement pour l’Allemagne n’a jamais nui. Lamartine n’a-t-il pas consacré un vers de la Marseillaise de la paix « aux fils de la noble Allemagne ? » Passons sur la phase allemande d’Edgar Quinet. Il avait complété son éducation intellectuelle à l’Université d’Heidelberg, et il en était revenu féru de l’érudition de ses professeurs, ce qu’il serait injuste de lui reprocher, car, après avoir laissé les méthodes de la pédagogie germanique envahir jusqu’à la Sorbonne, il ne faudrait pas pousser l’excès contraire jusqu’à les dédaigner outre mesure. C’est à l’étude et la glorification de l’Allemagne que sont consacrés les ouvrages de la première moitié de la vie d’Edgar Quinet. Il eut du moins le mérite de discerner de bonne heure le péril que faisaient courir à la paix du monde les ambitions de la Prusse et, dans ses Lettres d’exil, il avait le droit de s’en faire honneur. Mais ouvrons Michelet. Impossible d’imaginer quelque chose de plus niaisement admiratif que ses sentiments pour l’Allemagne. Je n’en citerai qu’un exemple. Rendant compte, plusieurs années après 1848, dans son Histoire de la Réforme, de je ne sais quelle procession qui s’était déroulée dans le Paris révolutionnaire, il écrit : « Pour moi, lorsqu’en Février je vis, sur nos boulevards, se déployer au vent de la Révolution le saint drapeau de l’Allemagne, quand je vis passer son héroïque légion et que tout mon cœur m’échappait avec’ des vœux, hélas ! inutiles, étais-je Français ou Allemand ? Ce jour-là, je n’eusse pas su le dire. » Après Sadowa, c’est à la Prusse que va encore son admiration et il s’attendrit en racontant qu’à Berlin les collègues de Bismarck, réunis le soir, lisent pour se délasser Thucydide dans l’original.

Feuilletons maintenant Victor Hugo. Il nous faudra tourner