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d’un cercle d’admirateurs passionnés. Cette admiration s’est prolongée au cours de tout le siècle dernier et même durant les premières années du nôtre. On semble aujourd’hui singulièrement revenu de cette admiration. Je ne parle pas du discrédit où est tombée la portion romanesque de son œuvre. « L’amour, disait assez plaisamment Mérimée, est un plat que, dans les romans, les générations successives accommodent tous les trente ans à une sauce nouvelle. » Il est certain que la sauce Corinne et surtout la sauce Delphine ne sont pas plus aujourd’hui de notre goût que ne le sera peut-être dans cinquante ans la sauce beaucoup plus épicée de certains romans qui dépassent de nos jours le cinquantième mille et frisent le centième. Mais ce discrédit n’avait pas jusqu’à présent atteint les autres ouvrages de Mme de Staël. Jusqu’à ces dernières années, il se trouvait encore de bons juges pour dire que ses Considérations sur la Révolution française présentent un des tableaux les plus animés qui aient été tracés de cette période de notre histoire. On reconnaissait également que ses Dix années d’exil, honorées, il n’y a pas longtemps, d’une nouvelle édition, qui sentent un peu, il faut en convenir, le pamphlet contre Napoléon, contiennent aussi des pages singulièrement brillantes et sagaces sur la Russie d’alors, sous les traits de laquelle elle découvre par instants certains traits de la Russie d’aujourd’hui. Sous le règne de Napoléon III, Mme de Staël connut même, au moins dans le monde intellectuel, une popularité véritable à laquelle contribuait assurément l’esprit d’opposition. La faveur de ceux qui dirigeaient une campagne ardente contre le neveu se portait vers celle qu’ils considéraient comme une victime de l’oncle. On lui savait gré de s’être, elle aussi, tenue debout, de n’avoir point fléchi le genou devant l’idole et d’avoir conservé jusqu’à la fin une attitude parfois imprudemment provocante, mais fière, et après la chute de l’idole, généreuse, car elle refusa toujours de s’associer aux violences contre lui[1]. Le culte qu’on professait

  1. Au risque de me mettre en contradiction avec ceux qui lui tenaient de plus près encore que moi, je crois à l’authenticité d’une lettre qui a été imprimée dans les papiers de Castlereag, et où, pendant les Cent Jours, elle s’efforce de détourner les Puissances de la Sainte-Alliance de déclarer la guerre à la France. Sainte-Beuve qui voulait croire à l’authenticité de la lettre, dit qu’elle est « d’un brave cœur. »