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relations avec sa famille, jusqu’au jour où Mme de La Fayette obtint, à force de supplications adressées à l’empereur d’Autriche, la faveur de venir s’enfermer avec lui, épreuve d’autant plus cruelle que, leur correspondance en fait foi, l’amour entre les deux époux était demeuré aussi passionné qu’autrefois[1].

On s’est avisé aussi de lui reprocher son inaction sous l’Empire. Comme on demandait à Sieyès ce qu’il avait fait sous la Terreur, celui-ci répondait : « J’ai vécu. » A quelqu’un qui, l’Empire écroulé, lui posait une question analogue. La Fayette répondit un jour : « Je me suis tenu debout. » Et de sa part cette altitude n’était pas sans mérite, car, ainsi qu’il le dit au début de ses Mémoires, « à l’aurore de la liberté, il ne voyait point de bornes à la carrière qu’il s’était ouverte » et cette carrière semblait finie. La Restauration le rappela sur la scène, mais c’est l’époque la plus discutée de sa vie car on lui a reproché d’une part, du côté royaliste, ses camaraderies révolutionnaires et ses demi-complicités avec les conspirateurs, et d’autre part, du côté libéral ou soi-disant tel, ses tergiversations et ses désaveux.

Il eut de nouveau ses journées de triomphe lors de la Révolution de 1830, mais son rôle comme général en chef de la garde nationale, et son fameux cheval blanc ne lui ont pas assuré un prestige durable aux yeux des générations nouvelles, quelque peu portées à tourner en raillerie la garde nationale elle-même et à ne pas lui ménager des quolibets dont La Fayette a eu sa part. « C’est La Fayette en cheval blanc, » a-t-on dit irrévérencieusement en parodiant un vers célèbre de Béranger et si on lisait le récit de certaine fête qui lui fut donnée au mois d’octobre 1830 par la loge maçonnique, la Clémente Amitié, fête où il fut conduit sous la « voûte d’acier » avec « batterie de maillets » et où il par la avec « sensibilité, » ce n’est pas ce récit qui arrêterait les quolibets.

Puis peu à peu l’oubli s’est fait et l’on ne pensait plus guère à lui, lorsque brusquement l’intervention des États-Unis a

  1. Si étroite était sa captivité et si stricte la surveillance exercée sur ses communications avec le dehors que La Fayette en était réduit à avoir recours à l’intermédiaire du docteur Bolmann, médecin honoraire de la prison. Celui-ci lui fit parvenir un billet où il lui donnait des nouvelles de Mme de La Fayette, et La Fayette lui répondit en écrivant avec du jus de citron sur les marges d’un roman qu’on lui avait prêté.