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répondit qu’il était possible aussi qu’on les menât fusiller. Sur quoi le grand-duc Nicolas repartit qu’il ne le croyait pas, parce que personne n’avait intérêt à leur mort. Le grand-duc Georges ne répondit rien et resta pensif. Il s’adressa à un des gardiens de la prison qui paraissait être bien disposé pour eux et le pria de dire de sa part aux personnes de sa famille, si un jour il en rencontrait, qu’il les embrassait. Le grand-duc Dimitri se tenait dans une résignation silencieuse.

Le moment venu, on les fit sortir de la prison sous escorte armée ; mais alors on ne leur permit pas de prendre leurs bagages. Le grand-duc Nicolas sortit en tenant dans ses bras un chat. Ce chat s’était habitué à lui et ne le quittait pas.

Il faisait une forte gelée, cette nuit-là. Arrivés dans la cour, les Grands-Ducs furent frappés de voir qu’on n’avait pas amené d’automobile ; il y avait seulement un grand camion, où se trouvaient déjà six matelots les mains liées. On y fit monter les Grands-Ducs. Quatre soldats armés et le commissaire y montèrent aussi. En sortant de la prison et suivant le quai, le camion tourna sur le pont Troitsky qui conduit à la forteresse Pierre et Paul ; ils ne pouvaient plus douter où on les menait.

Arrivés à la forteresse, on les conduisit directement chez le commandant. Le grand-duc Paul Alexandrovitch y fut amené aussi et c’est là qu’un commissaire venu de la Tchéka, — probablement l’odieux Galkine, — leur lut l’arrêt de mort. Après quoi, on leur fit enlever leurs par-dessus et leurs habits, malgré qu’il y eût près de vingt degrés au-dessous de zéro. On les mena au lieu du supplice près du bastion « Troubetskoy ; » une grande fosse était déjà creusée.

Chacune des victimes se trouvait entre deux soldats qui les tenaient par les bras. Le grand-duc Nicolas avait toujours son chat. Un des soldats dit à haute voix : « Quel honneur pour nous ! Voilà maintenant que nous nous promenons bras dessus bras dessous avec des Grands-Ducs ! »

Quand on passa près de la cathédrale où se trouvent les tombeaux de la famille impériale, les Grans-Ducs ôtèrent leurs chapeaux et firent le signe de la croix. Alors un soldat leur cria : « Toutes vos mômeries n’empêcheront pas qu’on va vous fusiller. Et on ne vous enterrera pas sous des dalles de marbre, mais sous des bûches de bois. »