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le trouver, je lui demandai si la terrible nouvelle était exacte, s’il y avait quelque chance qu’elle fût erronée. Il me répondit que malheureusement trop d’indices venaient la confirmer. D’abord il avait vu de ses yeux emmener de la Spalernaia les trois Grands-Ducs, sous escorte armée et sans bagages, ce qui était mauvais signe. Ensuite ayant été, dans cette même nuit du 28 au 29, amené à la Tchéka, et se trouvant dans le bureau du commandant Galkine, — celui-là même qui avait mission de fouiller les prisonniers, à leur arrivé à la Tchéka, et de les écrouer, — il avait vu cet ignoble individu, en tenue de combat, deux revolvers en bandoulière et la ceinture garnie de cartouches : c’était ainsi qu’il s’équipait lorsqu’il se rendait à une grande exécution, où son rôle était d’assister le bourreau et de donner le coup de grâce aux victimes. Il avait entendu Galkine, de sa voix de stentor, donner l’ordre de conduire en toute hâte à la forteresse « celui qu’on avait amené ici par erreur. » Au sortir du bureau, il avait pu entrevoir sur le palier de l’escalier qui menait aux cellules, le malheureux grand-duc Paul, entre deux soldats, revolver au poing. C’était lui qu’on avait « amené de l’hôpital ici par erreur, » et qu’il fallait conduire à la forteresse.

Nous causâmes longuement ; l’officier me donna mille détails sur la captivité du Grand-Duc ; il me répéta que jusqu’à la fin l’auguste prisonnier avait montré la même sérénité, affectant d’espérer contre toute espérance.

Le 7 avril 1919, libéré des travaux forcés où on m’avait envoyé après m’avoir fait passer par trois prisons, je recueillis plusieurs versions du massacre des Grands-Ducs. Ces versions étaient vagues et contradictoires. Je n’avais ni le cœur ni les moyens de me renseigner plus précisément sur ce crime odieux. Plus tard, à Paris, je retrouvai l’adjoint de l’intendant du Grand-Duc qui avait réussi à fuir de Pétrograde bientôt après l’exécution. Voici le récit qu’il me fit, d’après des renseignements de deux sources absolument sûres.

A onze heures et demie, la nuit du 28 au 29 janvier 1919, les trois Grands-Ducs reçurent l’ordre de se préparer à quitter la Spalernaia ; on les autorisait à prendre leurs bagages. Alors le grand-duc Nicolas dit en souriant à son frère le grand-duc Georges, que probablement on allait les remettre en liberté, ou peut-être les transférer à Moscou. Le grand-duc Georges lui