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tout en ce monde est relatif ! Ces deux petites chambres qui, le jour de notre arrivée à Wologda, nous avaient fait l’effet d’être si misérables, comme elles me paraissent confortables aujourd’hui comparées à cette cellule !

Le mardi 9, le domestique qui avait porté le café du matin, put voir le grand-duc Nicolas : il me faisait dire qu’il avait passé une bonne nuit et me priait de ne pas m’inquiéter. C’est bien lui, toujours le même : dans sa terrible position, il ne cesse de penser aux autres.

Je suis allé de nouveau au soviet ; le permis m’a été encore refusé. J’ai appris là que le calme était rétabli à Moscou, que Jaroslaw était retombé entre les mains des rouges et que l’état de siège allait être levé à Wologda… Nouvel écroulement de nos espoirs !

Les jours suivants, on continua de nous refuser les permis ; nous allions tous les jours au soviet ; toujours même refus, et maintenant en termes grossiers. Nous n’avions pas vu les détenus depuis le samedi 6. Condé nous répondait invariablement qu’il ne pouvait rien faire et nous disait d’attendre jusqu’au lundi 15.

Enfin ce lundi 15 arriva. Nous reçûmes, le colonel Karotchintseff et moi, les permis si longtemps attendus et nous pûmes aller à la prison. Je m’y rendis, comme d’habitude, vers les quatre heures. Le gardien chef, un Letton, assistait à notre conversation, assis sur le même banc que le Grand-Duc et moi. Le Grand-Duc se portait bien, ainsi que le grand-duc Georges : leur moral était excellent. Je ne pus voir le grand-duc Dimitri, qui dormait.

Que se passait-il alors dans l’âme des prisonniers ? Je me le suis demandé bien des fois et ne puis guère conserver d’illusions à ce sujet. Ils savaient que nous souffrions de les voir souffrir et que l’impossibilité de leur venir en aide augmentait notre chagrin : voilà pourquoi ils faisaient semblant d’être toujours de bonne humeur et pleins d’espoir : c’était eux, les détenus, qui raffermissaient nos courages. Au cours de cette semaine où ils étaient restés seuls, sans voir aucun visage ami, et dans des conditions à abattre les cœurs les plus fermes, il était bien impossible qu’un triste pressentiment ne se fût pas présenté à leur esprit. S’ils cachaient avec tant de soin leur propre tourment, ce n’était que par délicatesse pour nous et peut-être