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II

Le premier juillet, un lundi, à une heure, et demie de l’après-midi, nous venions de finir notre déjeuner et prenions le café quand nous aperçûmes par la fenêtre deux automobiles arrêtés devant la porte cochère de notre cour. Deux individus, l’un en civil, l’autre en uniforme militaire, sortirent de l’un des automobiles où se trouvaient aussi plusieurs soldats. Ils traversèrent la cour et sonnèrent à notre appartement. J’allai leur ouvrir. L’individu en civil demanda à voir l’ex-grand-duc Nicolas Mikhaïlovitch Romanoff. Je le fis entrer. Il monta le petit escalier qui menait dans notre vestibule. Laissant son acolyte au bas de l’escalier, il entra dans la salle à manger. C’était un tout jeune homme, blond, de figure ouverte et de haute taille. Il salua les deux Grands-Ducs, et, avec une politesse recherchée, les informa qu’il était envoyé par le président des soviets de Wologda, Vétochkine, faisant l’intérim d’Eliava, avec ordre d’arrêter les trois ex-Grands-Ducs qui se trouvaient dans la ville, — Nicolas Mikhailovitèh, Georges Mikhaïlovitch et Dimitri Constantinovitch. Il ajouta, toujours avec la même politesse, que, pour lui, il ne faisait qu’exécuter l’ordre reçu et, en manière de preuve, il exhiba un télégramme de Pétrograde signé d’Ouritsky.

Les Grands-Ducs ne pouvaient que s’incliner : ils déclarèrent qu’ils étaient prêts. Le jeune homme déclara alors qu’il était encore obligé de procéder à une perquisition sommaire ; il visita une armoire, quelques tiroirs de la table à écrire, mais le tout de façon très superficielle, seulement pour la forme. Ses manières étaient des plus correctes. Il déclina ses nom et qualité et déclara s’appeler Condé. Était-ce vraiment son nom ? N’était-ce pas plutôt un pseudonyme ? Je l’ignore. Quand le grand-duc Nicolas lui demanda si on leur permettrait de faire venir leurs lits et de se faire apporter leur nourriture, Condé répondit qu’il n’avait reçu aucune instruction à ce sujet, mais que l’autorisation ne pouvait faire doute.

Le moment était venu de partir. Le cœur serré, j’embrassai mes deux pauvres Grands-Ducs et je descendis l’escalier avec eux. Ils montèrent en automobile, résignés et courageux, comme toujours, et me jetèrent un dernier regard d’adieu. Je vis les