Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville. De l’autre côté de l’eau s’était installé le grand-duc Dimitri Constantinovitch avec sa nièce, veuve du prince C. Bagration-Moukhransky et ses deux enfants. Le colonel Karot-chintseff, aide de camp du Grand-Duc, était aussi avec eux. Comme la rivière était encore prise, on pouvait la traverser à pied,

La première visite du Grand-Duc fut pour son cousin le grand-duc Dimitri Constantinovitch. C’était le meilleur des hommes. Excellent soldat, il avait commandé un régiment de grenadiers à cheval pendant plusieurs années et s’était fait adorer de son régiment. Puis, il avait dû quitter le service pour raison de myopie : depuis lors, il menait une vie très retirée, en dehors de toute politique. Tourné à la dévotion, la plus grande partie de son temps se passait à fréquenter les églises. Aussi la ville de Wologda lui plaisait-elle et il remerciait Dieu de l’avoir envoyé là plutôt qu’ailleurs.

Après avoir donné les soins indispensables à son installation, le Grand-Duc alla faire quelques visites officielles. À cette époque, résidaient à Wologda les ambassadeurs de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Amérique, du Japon et les représentants des ambassadeurs du Danemark et de la Suède. Tout le monde alors espérait qu’il se produirait une intervention des Puissances étrangères : on ne doutait pas que les jours des gouvernants bolchévistes ne fussent comptés. Une fois, à l’église, le prêtre s’approcha du grand-duc Dimitri Constantinovitch et lui dit à l’oreille : « Courage, Monseigneur, courage ! il ne vous reste plus longtemps à souffrir. » Les nouvelles qu’on recevait de Pétrograde entretenaient cet optimisme : on attendait, du jour au lendemain, l’intervention de la Finlande… Le fait est qu’à cette date, occuper Pétrograde et avoir raison de la Tchéka (Gorochovaia) et des Soviets (Smolny) aurait été pour la Finlande une affaire non pas de jours, mais d’heures !

Voici quelle était la journée du Grand-Duc. Il se levait à huit heures du matin, faisait sa toilette, prenait son café et jusqu’à midi, heure du déjeuner, écrivait, lisait, se promenait sur les bords de la rivière, ou allait voir son cousin le grand-duc Dimitri. Vers les quatre heures, et seulement de temps en temps, il allait en ville pour voir quelqu’un, ou pour visiter un musée, une ancienne église, une boutique d’antiquaire ; il y avait pas mal d’ancienne porcelaine russe et d’anciens