Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille. Nous devions quitter la maison à une heure de l’après-midi. Je n’oublierai jamais le regard de ma chère belle-mère, la baronne d’Osten-Sacken ; ce regard me perça le cœur Elle non plus, je ne devais pas la revoir.

Nous partîmes à une heure exactement. À la gare, nous trouvâmes un encombrement et une confusion inimaginables : ce n’étaient que commissaires et soldats de l’armée rouge arrêtant les voyageurs à chaque pas et contrôlant leurs papiers. Nous primes congé des personnes qui étaient venues nous reconduire, et, à grand’peine, nous parvînmes à nous installer dans le compartiment qui nous était réservé, au Grand-Duc et à moi ; à côté de nous étaient le petit cuisinier et un soldat qui, au dernier moment et malheureusement pour nous, avait été désigné pour nous accompagner en qualité de domestique ; je dis : malheureusement, parce qu’il devait se montrer parfaitement indigne de notre confiance. Nous arrivâmes le lendemain, à midi. Personne à notre rencontre. Nous dûmes nous débrouiller tout seuls, reconnaître nos bagages, trouver des porteurs et des traîneaux.

La maison désignée pour notre résidence, était une petite maison en bois au bord de la rivière. L’appartement se composait d’un vestibule, d’une chambre à coucher, d’un salon et d’une cuisine ; ni eau, ni électricité. Le propriétaire M. E… était un jeune homme, nouvellement marié, appartenant à la noblesse de Wologda. Ce jeune couple occupait l’autre moitié de l’appartement. Le Grand-Duc était donc, en quelque sorte, sous la garde de ces deux jeunes gens. Je m’empresse de dire que, pendant tout le temps de notre séjour, leur attitude a été parfaite. J’en dirai autant de leur ami, M. A… collectionneur et grand chasseur à l’ours, qui nous fit l’accueil le plus empressé.

Wologda, située sur la rivière de ce nom, qui la partage en deux parties, est une des villes les plus anciennes de la Russie. Elle est renommée pour ses vieilles églises et ses céramiques. La société en était ultra-conservatrice : beaucoup de propriétaires appartenant à la noblesse du gouvernement y passaient l’hiver.

Dès son arrivée, le Grand-Duc alla se présenter au président des soviets de Wologda, un Mingrelien nommé Eliava. Visite humiliante et pénible, qui pourtant se passa relativement bien. Le Grand-Duc fut autorisé à circuler librement par la