Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Italie, comptait voyager comme un grand seigneur ; il comptait, à Rome, être accueilli par le Pape. Et il choisit pour camarades ces jeunes gens de la finance et du trafic, par-dessus le marché, huguenots !… Il faut à chaque instant le constater : on n’avait point encore, à cette époque, inventé le pharisaïsme ; voire, on s’amusait de quelque liberté. Les Tallemant, de leur côté, profitaient de l’obligeance de Richelieu, qui ne méprisait pas leur banque ou, du moins, la traitait comme s’il ne la méprisait pas : ils n’eurent pas à redouter l’amitié que faisaient leurs fils avec un ennemi du cardinal. Semblablement, une Mme de Sévigné, qui n’a point envie de déplaire à la Cour, ne cache pas le chagrin que lui causent les malheurs de M. Fouquet. Semblablement, Mlle de La Vergne, qui sera bientôt Mme de La Fayette, garde son titre de l’une des filles d’honneur de la Reine, quand elle accompagne en exil son beau-père le chevalier de Sévigné, frondeur et l’ennemi particulier de Mazarin. C’est une époque où il y a plus de désinvolture et de bonhomie que de petitesse.

A vingt-cinq ans, Retz était déjà laid, déjà myope, très vaniteux, très débauché, l’intelligence la plus vive et attrayante.

Quel voyage, où seraient de compagnie Retz et Tallemant ! Avignon les retint quelques jours. Le palais des Papes ne les émerveilla point ; c’est tout juste s’ils regardèrent cette « grande masse de bâtiments. » Mais ils allèrent visiter, dans l’église des Cordeliers, le tombeau de Mme Laure. Ils allèrent visiter le village de Vaucluse. Cet hommage rendu à la poésie et à l’idéale beauté, ils trouvèrent, dans Avignon, les femmes très jolies et avenantes. Retz, après cela, se souvint d’être bon catholique et emmena ses camarades protestants à la Sainte-Baume et aux lieux où l’on dit que la Madeleine fut pénitente. Retz prodigua le spectacle de ses dévotions et but à la source claire où l’on dit que la sainte se désaltérait. Un moine montra aux étranges pèlerins un cadavre tout desséché, la tête noircie, les cheveux rares et bruns, sur le front, — disait-il, — la trace de la bénédiction divine, et il disait que c’était ce qui restait de sainte Madeleine. Tallemant le raconte ; il a mis, en marge d’une copie du Voyage de Chapelle et de Bachaumont, que M. Emile Magne put lire, à côté de la mention de la Sainte-Baulme, ces quelques lignes : « Baulme, en provençal, veut dire caverne ou grotte. Je me souviens quand j’y fus… » Il raconte comme il a vu le visage et les cheveux de sainte Madeleine. C’est dommage qu’il ne dise pas quel fut, — ou ne fut pas, — l’émoi de Retz !

A Marseille, Tallemant, présenté à la précieuse Françoise de