Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle acceptait l’usurpation de l’Espagne ! C’est un argument. Les Tallemant ne s’attendaient pas que cet argument fût invincible, car ils eurent soin d’en présenter un autre. Ils habitaient la France depuis longtemps ; ils avaient occupé à la Rochelle des postes que les bourgeois de cette ville refusent aux simples « naturalisés. » Seulement, les bourgeois de la Rochelle, Sa Majesté ne les approuvait pas en toutes choses ! Sans doute ; mais, quant à considérer les Tallemant comme Français véritables, Sa Majesté n’y manquait pas, les ayant récemment priés de verser au trésor plus de cent mille livres, comme Français et de la classe des Aisés. Les Tallemant suppliaient qu’on eût la bonté de ne pas les taxer tour à tour comme Français et comme Étrangers. A choisir, les Tallemant préféraient la France, à condition d’y pouvoir ménager leurs écus.

Ils étaient protestants. Bourgeois de Tournay, Jean Tallemant vivait assez bien. Mais, dans l’émeute du mois de septembre 1561, ses fils eurent maille à partir avec les gendarmes de Mgr Floris de Montmorency, gouverneur pour le roi d’Espagne. Ils se sauvèrent et allèrent se réfugier à La Rochelle, où ils ne tardèrent pas, étant malins, à faire un bon établissement. Ils avaient d’abord de l’argent, qu’ils placèrent chez des armateurs. Après cela, ils ouvrirent des bureaux et des entrepôts et fondèrent une maison qui bientôt donna d’excellents bénéfices. Leurs navires se voyaient jusqu’à Terre-Neuve, où ils pêchaient la morue. En outre, leurs navires apportaient d’Amérique maints produits de vente assurée. Vinrent les honneurs, avec la grande richesse. Puis les Tallemant professaient beaucoup de zèle pour la religion ; ils contribuaient de leurs deniers à la reconstruction du temple et acquéraient une renommée de parfaits huguenots et Rochelais.

Un beau-frère et associé de Pierre Tallemant, Paul Yvon, risqua de les compromettre. Il devint, par intrigue, le premier magistrat de la cité ; mais il devint aussi un peu fol. Ce fut sous les deux influences des mathématiques et de la méditation mystique. Son rêve était de résoudre le problème dit de la quadrature du cercle : et il publia, en latin, la solution qu’il avait trouvée. Il se croyait en communication directe, et bien dangereuse, quoique flatteuse, avec « les esprits. » Quand les esprits l’entretenaient du cercle et de sa juste quadrature, il n’y avait pas grand mal. Seulement les esprits l’engagèrent à mendier par les rues, pour enseigner à ses concitoyens l’humilité. Même, ils lui persuadèrent qu’il était un nouvel Abraham : et, n’ayant point à sa portée un nouvel Isaac, il menaçait de tuer sa