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sensible, harpe sonore, Mme Desbordes vibrait de tout, ressentait et devinait tout. Et quand c’étaient ses« anges, » c’est-à-dire ses enfants, sur qui pesait la menace ou le danger, il semblait que cette « puissance d’orage » dont Michelet a parlé et qui était en elle, revêtit une intensité de vibration vraiment tragique.

La mère, n’est-ce pas un long baiser de l’âme,
Un baiser qui jamais ne dit non ni demain ?…

avait écrit une fois le poète dans un fougueux élan passionné. Et cet élan, cette passion, il avait appartenu à une autre mère française d’en exprimer déjà l’intensité et la puissance. Nous voulons parler de celle dont la statue est à Vitré en Bretagne, statue sur laquelle sont gravés ces mots : Vous ne comprenez pas encore trop bien l’amour maternel. Tant mieux, il est violent !

Où cette violence dans l’amour, cette fureur dans l’affection atteignirent, chez Mme Desbordes, à un degré vraiment sublime, c’est au moment où se produisit la séparation motivée par le départ d’Ondine, emmenée, pour être soignée à Londres, par la fille de Mme Branchu. Alors, ce ne sont plus des plaintes ni des gémissements, ce sont des cris que pousse réellement cette mère qui souffre dans sa fille. À Sainte-Beuve, qui a bien mesuré toute la hauteur de cette passion,

Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime…

elle vient, au moment où sa fille prend place sur le vaisseau anglais, faire la confidence de son sacrifice : « Ma fille loin, écrit-elle le 4 septembre 1841, je suis frappée d’étouffement. » Et au même, quelques jours plus tard, le 21 septembre : « Qui, demande-t-elle, me rendra les jours que ma fille passe sous les brouillards loin des battements de mon cœur ? » Enfin, dans un mouvement presque farouche, vers cette fille absente et qui tient à elle par tant de fibres secrètes et multiples : « Ah ! s’écrie-t-elle, je t’aime toi, je te presse sur mon cœur qui n’est complet qu’avec le tien ! »

Cependant le temps passe. Ondine ne revient pas. Alors c’en est trop. Tous ces atermoiements, tous ces détails torturent Marceline. « Si cette ange (cette ange, c’est encore sa fille) ne revient pas à Paris, c’est moi qui irai à Londres. J’irai parce que j’étouffe ! » (à Sainte-Beuve, le 3 avril 1843). Mais, sur ces