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cela fût pour déplaire à Sainte-Beuve. Si l’on remarque avec quelle complaisance il a parlé, non seulement des femmes qui furent belles, mais aussi des femmes qui furent lettrées et savantes : une Mme de La Fayette, une Mme de Duras, une Mme de Charrière, par exemple, on conçoit très bien que Sainte-Beuve se soit laissé aller à ce doux penchant.

Cependant Ondine Valmore, que son inclination vers la carrière de l’enseignement dominait toujours, ne tardait pas à entrer au pensionnat que tenait Mme Bascans à Chaillot. Cela, loin de nuire aux rapports de l’écrivain et de la jeune fille, ne fit au contraire que les rendre plus rapprochés et plus fréquents. Mme Bascans, dont l’institution était connue, aimait en effet à donner de petites soirées littéraires où elle considérait comme un honneur rare de recevoir, à côté d’Armand Marrast et de plusieurs autres auteurs et journalistes amis de son mari, un écrivain aussi notoire que « Monsieur Sainte-Beuve. »

Ces petites réunions familiales se donnaient sans apparat dans « un charmant boudoir tout neuf » qu’Ondine a décrit, mais à la vérité meublé seulement « d’un poêle de faïence et de quatre chaises de paille. » C’est là, durant que Mme Bascans offrait le chocolat à ses hôtes et a plusieurs de ses élèves préférées, notamment Solange, la fille de George Sand, que le singulier Sainte-Beuve, comme un beau fruit tentateur, avec de grandes recommandations « de ne pas le lire tout entier, » apportait son roman de Volupté. Et c’était là aussi que, retirés dans un coin du salon, comme deux enfants sages, Ondine et lui traduisaient Horace et Cowper.

« Nous prônions quelque livre latin, rapporta Sainte-Beuve plus tard en se souvenant de ces heureux moments, et elle arrivait comme l’abeille à saisir aussitôt le miel dans le buisson. Elle me rendait cela par quelque poésie anglaise, par quelque pièce légèrement puritaine de William Cowper qu’elle me traduisait ou mieux par quelque pièce d’elle-même ou de son pieux album qu’elle me permettait de lire[1] » On sait que, plus

  1. Lettre de Sainte-Beuve, citée par Arthur Pougin, écrite à Mme Valmore, le 19 février 1853, une semaine après la mort d’Ondine. M. Jacques Boulenger, dans son livre sur Ondine Valmore (Paris, 1909), signale que nombre des poésies de la fille se sont trouvées reproduites par la suite dans les albums de la mère conservés à la Bibliothèque de Douai. À la suite du poème d’Ondine intitulé Anniversaire, Marceline, toujours fidèle aux souvenirs, « a collé une fleurette desséchée ; en regard, sur le verso du feuillet précédent, une mèche de cheveux d’un blond très pâle, nouée d’un cordonnet bleu. » En ce qui concerne l’importance accordée par Ondine au poète anglais Cowper, il serait curieux de rechercher si Sainte-Beuve ne fut pas amené, sous l’influence de la jeune fille et en mémoire d’elle, à publier, les lundi 20, 27 novembre, et 4 décembre 1854, les trois beaux articles intitulés : William Cowper ou de la poésie domestique.