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l’impression d’un linceul raide épousant encore les formes d’une Madone ressuscitée, mystérieusement sortie de son tombeau.

De Koutloumoussiou à Iviron, sur la côte orientale, la route est longue et se fait à des de mulet. En hâte, car l’heure presse, la caravane se reforme. Déjà le général a pris les devants. Une bête drapée d’une superbe couverture de laine s’offre à mes convoitises. Prestement, j’engage l’étrier et d’un élan, où passe toute la grâce dont je suis capable, j’enfourche gaillardement ma monture. « J’enfourche » est un euphémisme. Etrier qui tourne, jambe qui s’accroche au bât, embrassade éperdue de l’encolure, vitesse, hélas ! acquise… mon orgueilleuse seigneurie s’allonge en croix sur un lit de fange. Quel émoi ! Pas d’autre blessure que celle de mon amour-propre. A peine au sol, me voici debout. Une houle humaine m’assaille. On m’entoure, on me palpe, on rit sans pitié. La réponse de l’higoumène traverse ma pensée. « Nous buvons du vin… et abondamment ! » Serait-il possible que l’on crût ?… Irrité de cette méchanceté que je crois lire dans tous les yeux, je regarde mon mulet. Il n’a pas plus bougé que s’il fût de carton. Le col tendu, le mufle à terre, les oreilles basses, il semble rêvasser avec résignation et me dire philosophiquement : « J’en ai vu bien d’autres ! »

Délicieuse était la montée de Xiro Potamou, délicieuse fut la descente sur Iviron. Le sentier a tant de caprices qu’on ne sait plus où il vous mène. Des ponts sur d’adorables torrents, des cheminements sous des chênes qui décoiffent les cavaliers, des passages en escarpement : tout l’attrait de la belle montagne. Il passe sur nous des trouées de soleil, de larges pans d’ombre et, par intervalles, des tamisées de pluie. On sent le jour baisser… Iviron ne paraît point. « Iviron va bientôt se dressera vos yeux, à vos pieds ! » me crie M. S… Quelques pas encore ; un coude brusque du sentier ; et voici qu’en effet l’horizon s’ouvre soudain sur une mer de plomb figé ; voici que, du fond de son ravin, tout près du rivage, l’imposante bâtisse carrée d’Iviron monte jusqu’à nous ses trois clochers en dôme, où le branle est donné à toute volée.

Iviron tire quelque fierté d’être un des plus anciens monastères de l’Athos. Il n’a ni l’orgueilleux aspect de Zographou ou de Pantéleimon, ni la puissante masse de Hilandari, ni le