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l’eau pure, le mastic odorant, les loukoums à la rose, le cognac de Syrie et la tasse de café. C’est au milieu de ces libations hétéroclites et très matinales, que s’annonce le délégué hellène à la Montagne. Sainte, accompagné du capitaine de gendarmerie. De son belvédère de Karyès, ce jeune Crétois aimable guettait notre venue. Il nous attendait à Valopédi, nous arrivions par Daphni : et deux heures de mulet séparent Karyès de Xiro Potamou.


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Je ne sais si le silence de l’Athos prête aux cloches une gravité plus religieuse, une sonorité plus émouvante qu’ailleurs. Nous sortons du monastère. Nos pas retrouvent les rameaux de lauriers frais que nous n’osons fouler ; et sous les cloîtres que le soleil commence à dorer, les nuages d’encens s’en vont en tremblantes volutes. Soudain l’air tressaille, le silence se déchire : grave, sourde, majestueuse, la simandra entonne sa mélopée traînante, à la fois farouche prière, plainte résignée, cantique d’espérance. De toutes parts, sur les galeries intérieures, dans la grande cour grossièrement dallée, un à un les moines apparaissent : fantômes muets aux gestes las, aux airs de contemplation éternelle. Ils semblent sortir à l’appel d’une voix inentendue, d’un monastère endormi dans une méditation de dix siècles. Et la grande cloche, à laquelle répondent maintenant toutes les clochettes du monastère, enfle sa voix d’outre-tombe, emplit la cour, déborde alentour et va se briser contre les échos de la montagne. Vers le ciel de lumière vive, un hymne monte où s’assembleraient les extases, les adorations, les angoisses et les espérances de mille ans de vie monacale. Xiro Potamou s’enveloppe de son passé et chante son immuabilité éternelle. Sur la terrasse extérieure, l’higoumène s’arrête, lentement se tourne vers la mer nacrée ; sa main, en un geste sacerdotal, embrasse toute la Chalcidique et l’on ne sait s’il épand sur l’Egée indolente, sur la mer vaporeuse, ou son anathème ou sa bénédiction.

— Père, dit le Général, la vue est merveilleuse et votre accueil pieusement hospitalier ; mais voici que le soleil va franchir l’arête de l’Athos : il faut nous remettre en route.

L’higoumène sourit, s’incline ; et, dépouillant quelque peu de sa majesté apostolique, retrousse sa robe pour enfourcher son mulet.. Car il nous accompagne à Karyès. Le gros moine