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Normale, Thouron, devenu avocat au barreau de Toulon, esprit fin et cultivé, causeur spirituel, dont les boutades imprévues et les anecdotes savoureuses égayaient l’aveugle à ses heures de tristesse. Tous deux, fervents admirateurs des institutions anglaises, trouvaient un contradicteur ardent chez un officier retiré du service, M. Divernois, demeuré fidèle à ses haines de jeunesse contre Pitt et la « perfide Albion. » C’étaient alors de pétulantes escarmouches auxquelles prenaient leur part le maitre du logis et le médecin d’Hyères qui donnait ses soins au malade, le docteur Allègre, père d’une fort jolie personne, grande amie de Mary d’Espine.

L’aimable petit cercle se complétait d’Alphonse Denis, agronome éminent, qui devait devenir député du Var après 1830, puis fonder la Revue d’Orient avec Abel Hugo, et d’un trio de châtelains d’alentour, véritables personnages de Balzac, échappés du Cabinet des Antiques : le marquis et la marquise de Beauregard, le chevalier Hippolyte, émigrés rentrés en France, ultras frénétiques que scandalisaient les propos de leur voisin, le baron de Syon, « philosophe, Lafayettiste, presque carbonaro. »

Fort accueillants, les d’Espine recevaient, en outre, leurs amis de Genève ou de Lausanne, tous religionnaires de marque, pasteurs et membres de consistoires, les Vinet, les Odier, les Monod, les Dunant. Parfois aussi, survenaient des étrangers, connus d’Augustin Thierry, comme J.-J. Ampère, ou simplement désireux de lui être présentés.

Certain jour arriva de la sorte une merveilleuse inconnue qui venait d’Italie. Si les yeux éteints d’Augustin Thierry avaient pu la voir, ils l’eussent aperçue très belle : une figure du Vinci avec l’ovale pur de son visage, son teint de perle, ses yeux immenses et ses cheveux de jais. La jeune femme revint plusieurs fois : romanesque et patriote, aventureuse, affiliée à la Jeune Italie, grande maîtresse de la Carbonaria, elle consacrait sa fortune et ses forces, — ses grâces aussi affirmaient les médisants, — à l’affranchissement de sa Lombardie.

Cette magnifique amazone qui plaidait avec exaltation la cause des nations opprimées séduisit l’ « avocat des vaincus, » toute sa vie très sensible au charme féminin. Ils se séparèrent à regret, promettant de se revoir et de cette rencontre en effet va naitre la précieuse amitié qui doit un jour consoler Augustin