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confiance par l’exactitude, la variété de ses connaissances, la sagesse avertie, judicieuse et fine de sa critique. Qui ne sait au surplus qu’il fut en France l’un des promoteurs du romantisme, le restaurateur avec Raynouard des lettres provençales et le créateur de l’étude comparée des langues ? Augustin Thierry a rendu un chaleureux et délicat hommage public au savant « en qui la sagacité, la justesse d’esprit et la grâce de langage semblent s’être personnifiées[1]. » Nous n’avons donc pas à répéter après lui ce qu’il dut à ce commerce intime de l’esprit et du cœur, au cours de ces entretiens qui fortifiaient son courage, des longues promenades à deux où s’élargissait l’horizon de ses idées.

Il s’agissait à présent de débrouiller, d’ordonner et mettre en œuvre l’immense assemblage des matériaux accumulés. En 1822, commença le travail de rédaction. L’auteur projetait d’allier au mouvement épique des historiens grecs et latins la naïveté de couleur des légendaires et la raison sévère des écrivains modernes. Besogne malaisée, perfection difficile à obtenir. Enfin, après trois années encore d’un labour incessant, le livre si longtemps rêvé parut au printemps de 1825[2]. Son auteur avait dû en abandonner les droits pour dédommager l’éditeur des innombrables et coûteuses corrections prodiguées sur les épreuves.

« L’Epopée des vaincus, » comme on l’a surnommée, est l’un des classiques de l’histoire au XIXe siècle. Dans sa forme narrative, elle est, comme on sait, l’ample développement d’une théorie : la perpétuité des conflits entre les races, la durée de l’influence d’une conquête sur l’état social et politique d’une nation. Depuis cent ans bientôt, admirations et critiques ne lui ont pas manqué. L’Histoire de la Conquête demeura toujours son œuvre de prédilection, l’enfant chéri de sa pensée. Il la corrigea, la remania sans cesse avec la plus émouvante bonne foi, à la recherche passionnée du vrai, et la mort vint le frapper sur la brèche au milieu d’une révision suprême.

Le succès du livre à son apparition fut considérable. Quatre éditions tirées en moins de trois ans en demeurent

  1. Dix ans d’Études historiques, préface.
  2. Trois volumes in-8o chez Firmin Didot. La 2e édition parut chez Sautelet (1826) en quatre volumes augmentés de pièces justificatives, sans changements notables de texte.